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pour amener ce résultat ; car s’il lui arrivait d’y manquer, il aurait sacrifié les intérêts permanens de sa propriété à un simple usufruit plus ou moins long.

« Vous le voyez donc, monsieur, en étant d’accord avec vous sur le principe de l’abolition, je ne le suis pas sur l’opportunité du moment, et je ne le suis pas non plus avec ceux qui disent comme vous que l’esclavage ne peut préparer la liberté. L’esclavage, monsieur, est un sillon plus fertile que vous ne croyez, et vous ne le croyez tel, que parce que vous ne le connaissez pas : jusqu’à présent il n’a rien produit, parce qu’on ne lui a rien demandé[1]. Mais semez-y l’émancipation future, donnez à nos mains expérimentées de l’y cultiver, et laissez le temps à la germination ; la récolte viendra. Mais si la France se refuse à attendre, et qu’elle demande à des voies plus hâtives et aussi plus compromettantes, une réalisation précoce ; eh bien ! que ce soit au moins celles qui rompent le moins avec l’ordre proscrit ! que la France remplace l’esclavage par l’en-

  1. On voit, en entendant M. Bovis, comment les créoles intelligens et de bonne foi apprécient ce que la servitude a fait pour les nègres.

    Moraliser, c’est faire prévaloir les bons penchans sur les mauvais ; or, les maîtres prétendent qu’il ne convient pas d’affranchir, parce que les esclaves n’ont que de mauvais penchans. Que penser ensuite de l’incroyable idée du conseil colonial de Bourbon, qui, répondant au rapport Tocqueville, ose avancer « qu’il faut voir dans l’esclavage de nos colonies la première visite de la Providence à la race noire. » L’aberration peut-elle aller plus loin ? Rapprochez cela de ce que vient de dire M. Bovis, ou de ce qu’à écrit M. Sully Brunet dans sa dernière brochure. « Si nos colonies offrent le spectacle d’une déplorable immoralité parmi les esclaves, c’est que nulle part ceux-ci n’ont été plus abandonnés à leurs grossiers instincts, par l’indifférence de la métropole et les mauvaises institutions qu’elle imposait aux colonies. » Qu’a dit encore un autre colon, M. Guignod, de la Martinique : « Nos hommes sont ignorans, demi-sauvages ; ils ont tous les vices inhérens à la servitude et à une demi-civilisation. » Quels effets de la visite divine ! C’est vraiment une grande impiété de faire intervenir la Providence dans toutes ces abominations. Ils fouettent des femmes nues, et ils nous soutiennent qu’ils les moralisent.