Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« J’affirme que l’esclavage de nos nègres pourrait préparer leur émancipation. Mais ici ne voulant pas faire une thèse inutile, et lutter contre un parti pris, je fais une génuflexion vis-à-vis du désir humanitaire de la France, et je lui dis : Vous ne voulez pas la continuation de l’esclavage, mais au moins pourvoyez à la liberté pour n’en pas faire de la licence : pour y pourvoir, préparez-la, mais préparez-la dans un mode qui ne rompant pas tout-à-fait avec l’ordre établi, marquera le pas pour un acheminement à un mode meilleur ; ne votez pas une mesure absolue, définitive, mais votez une mesure transitoire.

« Vous avez complété votre émancipation en 89, mais vous savez par où et sur quoi il vous à fallu passer ! Les fins de la révolution légitiment sans doute ses moyens ; mais cette révolution si glorieuse pour nous, génération qui en recueillons les fruits, combien a-t-elle été torturaire pour la génération qui en a eu la gestation et le part ! Hommes égoïstes qui applaudissez à une lutte passée dont vous ramassez les dépouilles, voudriez-vous encore vous en renouveler l’émotion sur une partie contemporaine de votre société, sans être vous-mêmes exposés à la mêlée ? La révolution a eu ses horreurs, et cependant c’était une société homogène qui agissait dans et par elle même ; qui avait une intelligence et des sentimens communs. Que serait-ce d’une révolution aux colonies ou les races divergent, ou les sentimens et l’intelligence divergent avec elles ? croyez-vous être assez près pour voir le péril, assez dextres pour y obvier ? Aurez-vous une suffisante conscience des dangers à combattre, des intérêts à satisfaire ? Une révolution sociale, monsieur, ne se fait pas par de la pédagogie ; ce sont les acteurs qui sont les professeurs ? Eh bien ! nous, qui sommes parmi ces acteurs, et entre tous, les plus intelligens, il nous faut laisser le soin d’en être les professeurs : il faut que la France nous abandonne cet enseignement librement et entièrement, sous le contrôle de pure surveillance de ses agens.