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accordé le fait, autant qu’il n’en souvient ; comment donc, le fait étant acquis entre nous, pouvez-vous penser que les préceptes de la civilisation la plus avancée du monde, de la civilisation française, soient applicables aux nègres de nos colonies ? et je ne m’engage pas trop en vous attribuant cette opinion, car vous m’avez dit que dans les Cinq Codes vous trouviez toute la formule de l’émancipation des nègres.

« Concordant avec vous, dans les principes généraux d’humanité, je déclare avec vous qu’il faut abolir l’esclavage ; mais quand ? Voilà où nous nous divisons.

« Comme homme social, membre d’une société dont les élémens constitutifs ne sont pas uniformes, je ne voudrais certainement pas établir une norme commune entre tous : l’esclavage, sous cette nécessité, pourrait bien encore mériter mon acquiescement, quelque soit l’anathème lancé contre lui et contre ceux qui le défendent ; seulement à la différence des temps ou les règles du Code noir ont été publiées, je ne voudrais pas faire de l’esclavage un mot éternel, un état impérissable, j’en voudrais faire une combinaison progressive comme toute autre.

« Rien n’a été fait dans ce sens par la métropole. Elle a fondé l’esclavage, et en le fondant elle a d’abord mis à son seuil une penture de fer, comme à la porte d’un bagne ; elle y avait écrit le mot fameux du Dante : Lasciate ogni speranza. Et voilà que tout-à-coup, par soubresaut, sans préparation, elle voudrait renverser ces portes, déchaîner ceux qu’elle avait abrutis et lancer au milieu de la société des êtres qu’elle a tout fait pour lui rendre hostiles ?

« Mais, me dites-vous, on ne peut pas préparer la liberté dans l’esclavage !… Et qu’en savons-nous, monsieur, puisque rien n’a été fait à cet égard ? Vous dites, non : je dis oui. La question reste au moins indécise, mais elle ne peut l’être, monsieur, pour des personnes qui jugent impartialement ! n’y a-t-il pas une induction qui m’est favorable, à moi ; celle de l’expérience de ces hommes et de ces choses.