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Dieu a laissé à l’homme de former sa société, et par conséquent de la modifier. De modifications en modifications, l’homme en est venu à reconnaître que l’esclavage était une injure faite à sa nature, aussi les sociétés les plus avancées ont-elles rejeté l’esclavage. Membre comme vous, monsieur, d’une de ces dernières sociétés, je rejette aussi l’esclavage ; mais en principe d’abord, parce qu’un principe généralise et embrasse tout, sans tenir compte des empêchemens : un principe est comme une course au clocher, il franchit haies et fossés comme une surface plane. Mais il n’en est pas de même de l’application, l’application procède par statistique ; elle note les obstacles, elle tient état des temps et des lieux : un principe agit abstractivement et l’application agit par réaction. Ainsi, humanitaire comme vous, je pourrais bien vouloir l’abolition d’une manière absolue ; mais sociétaire comme moi, vous ne devez la vouloir que d’une manière relative.

« La France a fait son émancipation lentement et graduellement : la révolution n’a été que le bouquet d’une illumination commencée dans la nuit de ses âges ! Sera-t-il dit que parce que la France était parvenue à la maturité nécessaire pour recueillir, d’autres peuples, sous des températures et des conditions différentes, y soient également parvenus ? C’est ce que je conteste, et ce que l’évidence nie avec moi.

« Si le mot de liberté était ineffaçablement écrit sur tous les fronts, il n’y aurait sans doute qu’à le faire lire à chacun sur le front de son voisin ; chaque homme l’y aurait lu lui-même depuis long-temps, il l’y aurait lu toujours, et dès-lors sa nature étant permanente devant ses yeux, il n’aurait jamais souffert l’esclavage. Mais il n’en a pas été ainsi ! c’est le développement de l’intelligence qui a fait trouver à l’homme ce titre caché en lui-même ; il y a donc un développement à produire, il y a une intelligence à former ; c’est là une étude, une éducation, et c’est là précisément mon affaire.

« Je reconnais le nègre perfectible, mais en même temps je le reconnais d’une race inférieure ou dégénérée : vous m’avez