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pompeusement annoncé sa délivrance, et s’irritait de ne pouvoir exercer sa volonté, comme il le voyait faire à tout homme libre. L’apprentissage enfin à ce vice fondamental que le maître, sachant qu’il n’a plus qu’un temps à jouir, veut demander beaucoup, tandis que l’esclave sorti de la dépendance absolue, ne veut plus rien donner du tout[1]. — D’un côté, les planteurs se trouvèrent si mal de l’état transitoire qu’ils y renoncèrent, et préférant les chances du travail libre, donnèrent eux-mêmes, le 1er août 1838, la liberté définitive qui ne devait éclater qu’en 1840 ; de l’autre, lorsque MM. Sturge et Hervey, en visitant les colonies anglaises pour y examiner l’état des affranchis, demandèrent aux nègres quelle différence ils trouvaient entre leur ancienne et leur nouvelle position, les nègres répondirent « qu’ils n’en avaient encore aperçu aucune[2]. »

Dans le discours d’ouverture de la session de 1838, le gouverneur de la Jamaïque, sir Lyonnel Smith, engageant les planteurs à voter l’abolition définitive, leur disait en parlant de l’apprentissage : « Dans le double intérêt de la tranquillité et de la production, je vous engage à supprimer une loi qui a été aussi tourmentante pour les travailleurs que décevante pour les planteurs[3].

  1. L’expérience de l’apprentissage anglais a révélé mille autres difficultés inhérentes à ce système, et notamment celle-ci. Jusqu’à ce qu’il fut établi, les voleurs étaient jugés et punis sommairement par le maître sur l’habitation, mais sous l’empire de la nouvelle loi, il n’en pouvait plus être ainsi. Il fallait envoyer le délinquant à la geôle, où il restait quelquefois deux mois en attendant la session de justice ; de sorte que jusqu’à la fin de cette prévention d’abord et ensuite durant la détention s’il y avait lieu, le propriétaire restait privé par la loi, du travail de l’apprenti que la loi lui avait garanti. De plus, le jardin du coupable était nécessairement abandonné, et quand il sortait de prison, ne trouvant pas de vivres sur sa terre et ne pouvant rien gagner, puisque ses bras ne lui appartenaient point, il allait de nouveau piller les autres.
  2. The West-Indies, etc.
  3. Précis de l’abolition de l’esclavage dans les colonies anglaises, publié par ordre du ministère de la marine ; deuxième publication.