Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet homme que la violence ou sa naissance ont fait esclave contre le droit commun, à donner de l’argent pour rentrer dans la jouissance du droit commun. Ô l’effroyable invention ! Obliger les nègres à se racheter eux-mêmes ! Mais qu’auriez-vous donc à répondre si un esclave montant à la tribune, furtivement, comme un esclave, et découvrant sa poitrine chargée des ignobles cicatrices du fouet, venait dire à la France parlementaire : « Vous exigez que je vous donne 1,000 francs pour ma liberté, et moi au nom de l’espèce humaine dont la majesté a été odieusement, lâchement violée dans ma personne, je demande 30,000 fr. d’indemnité pour les trente ans que j’ai passés en servitude ! »


§ V.

RACHAT PAR L’ÉTAT.


L’État possesseur et loueur d’esclaves est une conception profondément immorale. — Dans cette hypothèse, comment peut-on régler le sort des 45,000 esclaves de villes et de bourgs ?


Voyons maintenant le deuxième système proposé, celui de l’émancipation simultanée par voie de rachat et au nom de l’état ; c’est à peu près le système proposé par la dernière commission de la chambre des députés. « Les colons sont dépossédés avec indemnité ; l’état, pendant une période de temps déterminée, se substitue à leur place, loue aux anciens maîtres le travail des esclaves et prélève sur le salaire de ceux-ci une somme suffisante pour se couvrir peu à peu de ses avances, en établissant un amortissement. »

Quel autre qu’un avare, à la lueur de sa lampe sans huile, a pu trouver un pareil procédé ? Quoi ! parce que la philosophie, la morale et notre constitution ensemble réprouvent l’esclavage, voici la nation transformée en propriétaire d’esclaves ! « Le nouveau maître, ce sera l’État », comme l’a dit crûment et in-