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intérêt contraire, et il s’efforcera d’empêcher que l’esclave ne puisse amasser. » C’est comme cela que les propriétaires espagnols ont annihilé la loi du rachat forcé qui est établi chez eux depuis plus d’un siècle. Ils ne donnent pas de jardin ni de samedi pour qu’il n’y ait point de pécule, et les esclaves, dans l’impossibilité de tirer aucun bénéfice de la loi, perdent les avantages de la tolérance.

Les propriétaires français feront comme les Espagnols. L’ordonnance du 15 octobre 1786 les oblige à concéder le jardin à leurs nègres, il est vrai, mais ce n’est et ce ne peut être qu’une concession appliquée à un cas spécial. Ou il faudra acheter la terre accordée aux esclaves, et probablement les maîtres ne voudront pas la vendre, ou il faudra les forcer législativement à la donner, et alors ils se plaindront avec raison d’être dépouillés injustement.

Mais, pour en finir, n’est-ce pas trop demander vraiment à un misérable esclave accoutumé depuis sa naissance à voir subvenir à ses besoins, livré sans contrepoids à l’entraînement de tous ses instincts, n’est-ce pas trop demander que d’exiger de lui assez d’énergie de volonté pour résister pendant des années à la voix de ces instincts mêmes, et pour économiser à force de privation l’argent qu’il gagnera ? Qui d’entre nous et je parle des meilleurs, ne mange pas souvent au-delà de ses revenus ? La modération, n’est-ce pas la plus éminente vertu des sages ? Comment oserait-on la demander à des esclaves ? Monseigneur, dit Figaro au comte Almaviva, aux vertus qu’on exige d’un serviteur, connaissez-vous bien des maîtres qui soient dignes d’être valets.

Nous sommes entré dans ces détails afin de montrer les difficultés matérielles de la proposition, nous aurions pu nous en dispenser : le rachat par le pécule, en dehors de tous ces raisonnemens doit être repoussé parce qu’il est profondément immoral. Nous regardons comme un attentat à l’équité de forcer un homme, dont on a disposé malgré lui, à payer pour reprendre la libre disposition de soi-même, de le forcer,