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sa rançon, car il est obligé de faire des sacrifices pour l’entretien des enfans auxquels le maître ne donne que l’indispensable ; et s’il songe à la liberté pour lui-même, il lui faut amasser de quoi acquérir aussi celle de sa femme et des pauvres petites créatures qui lui doivent le jour. On a déjà aujourd’hui par l’expérience de ce qui se passe, la preuve de ce que nous disons. Plusieurs nègres jugeant impossible de se racheter eux et leur famille, se contentent généreusement de racheter leurs enfans.

Une chose nous effraie encore dans le rachat forcé, c’est qu’il dégarnit les ateliers de leurs plus utiles sujets, sans que la nouvelle discipline qui appliquée en grand maintiendrait le travail, puisse être employée. Il recule ainsi d’autant la solution du problème, la conciliation du travail avec la liberté. Tout ce qui détourne de la culture les libres actuels, saisirait à mesure les nouveaux émancipés ; il ne faut pas croire en effet qu’un affranchi consente jamais à manier la houe tant qu’il restera un esclave pour y toucher.

Il est un point sur lequel on ne s’appesantit pas assez lorsqu’on parle du rachat forcé, c’est que l’esclave ne peut y atteindre que par la voie du pécule, et qu’il sera toujours fort aisé à l’habitant de l’empêcher d’en faire un. Le pécule est sacré et il n’est pas besoin de lui créer un titre légal ; tout le monde le respecte, et celui qui ne le respecterait pas, serait déshonoré. Mais comment l’esclave le peut-il former ? En cultivant son jardin. Or, son jardin qui le lui donne, ou plutôt qui le lui prête ? Le maître. Le jour donc où le maître regardera le pécule de l’esclave comme funeste à ses propres intérêts, il lui retirera le jardin et l’esclave restera privé même des moyens qu’il avait d’adoucir sa triste et monotone destinée. La commission de la Guadeloupe ne s’en est pas cachée. « Dans l’état des choses, a-t-elle dit, il est de l’intérêt du maître que l’esclave soit riche (elle aurait pu ajouter que plusieurs y mettent leur amour-propre), aussi lui procure-t-il autant qu’il est en lui le moyen d’acquérir ; mais quand viendront le pécule légal et le rachat forcé, il aura un