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qui par de rudes économies est parvenu à ramasser de quoi payer son cadavre, cela est inutile ici : il ne s’agit pas de savoir ce qui est bien, il s’agit de constater ce qui est. Les créoles ne voulant pas à tort ou à raison du rachat forcé, il faudra en venir à des arbitrages dans lesquels le maître perd le prestige dont il est entouré, ou bien arrêter un maximum et un minimum de prix dont la fixation ne peut satisfaire personne, et qui engendre des mécontentemens et des procès. N’oublions pas ensuite que toute mesure, mesure de détail s’entend, à laquelle les maîtres seront antipathiques, deviendra d’une exécution très difficile.

Dans l’espèce, il est aisé d’établir que l’application serait à peu de chose près impossible, et que jamais l’esclavage ne pourra finir comme on l’espère par le rachat forcé. Quoi qu’on dise de l’amélioration du sort matériel de l’esclave, quoi que nous en ayons dit nous même avec sincérité, il est un nombre infini d’esclaves qui seront toujours hors d’état de former un pécule assez gros pour se rédimer ; les femmes, la plupart des nègres de villes, ceux attachés au service des maîtres n’y sauraient atteindre ni par la culture du jardin ni par leurs profits. Rappelons en outre que le nègre suit la fortune de son possesseur, et qu’il est pauvre chez un propriétaire pauvre. Il y aurait donc un fonds de population qui resterait éternellement, invinciblement attaché à la servitude, et dont il faudrait craindre un jour le désespoir ou la jalousie. Que si vous dites : Il n’est pas indispensable d’attendre jusqu’aux derniers, on affranchira en masse lorsqu’on sera assez fort, vous n’échappez plus à la commotion tant redoutée d’un affranchissement simultané, et vous consacrez de plus une iniquité révoltante, celle de faire payer à de bons sujets ce que vous donnez gratuitement à des hommes moins intelligens ou moins laborieux. — Notons en passant que dans ce système, l’esclave qui a les habitudes les plus morales, celui qui, marié ou non, vit en ménage et soigne ses enfans, se trouve être précisément celui qui a le moins de moyens de payer