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est une véritable charge, on peut dire une calamité pour les petits propriétaires nécessiteux. Ils ne veulent pas forcer la femme enceinte ou nourrice, de crainte de la perdre ; ils

    nette (une femme qui accouche le jour même de deux jumeaux), il avait voulu la punir d’un acte de paresse compliqué de désobéissance.

    M. Vaultier n’était pas compromis pour ce seul fait.

    Le juge d’instruction avait en outre constaté par procès-verbal, qu’un petit nègre de douze à quatorze ans, était enchaîné depuis sept mois dans l’écurie de cet habitant. La chaîne pesant ensemble seize livres, était assez longue pour que l’enfant put donner aux chevaux l’herbe que l’on déposait à côté de lui. Il portait sur le corps des traces de coups de fouet et se trouvait dans un grand état de débilité.

    C’est là un fait constant, positif, irrévocable, le colon ne le nie pas, il n’avait, disait-il, d’autre moyen de punir ce petit nègre marron et maraudeur incorrigible. — Il y a torture, elle est malheureusement trop évidente ; ce jeune nègre a été pendant sept mois un chien à l’attache ; la seule différence est qu’il avait la chaîne au pied au lieu de l’avoir an cou. Mais les mœurs coloniales sont telles, le délire que donne l’esprit maître va si loin, M. Vaultier avait si peu la conscience de son crime, que le lieu de séquestration était l’écurie ; or les écuries n’ont pas de portes aux colonies, tout le monde a la faculté de voir ce qui s’y passe, et le juge d’instruction, tant on avait peu l’envie de se cacher, ne fut instruit du mal que par un gendarme envoyé là pour y mettre les chevaux ! Le coupable n’est pas du tout un méchant homme, il a bonne réputation de maître, et il est certain que se privant une fois des services de son mauvais petit esclave, il aurait pu le plonger dans un cachot infect s’il l’avait voulu.

    M. Vaultier a été poursuivi, et bien entendu acquitté. En revanche, M. Goubert, le juge d’instruction, reconnu à quelques enquêtes semblables pour magistrat abolitioniste, exposé aux coups de la coalition créole, fut révoqué assez brusquement de l’office qu’il remplissait par intérim. — Les colons voient un ennemi personnel dans tout magistrat qui se déclare ami des esclaves, et en le faisant chasser promptement, ils dégoûtent ceux qui pourraient être tentés de l’imiter. Peut-être est-il bien que ce soit ainsi ? Les obstacles que l’on oppose à l’action émancipatrice servent encore à accélérer son triomphe, en démontrant par leur nature même combien la cause est juste et bonne, Le désordre moral de la société des Antilles, l’odieux de certains actes des hauts fonctionnaires et le scandale des acquittemens judiciaires sont devenus, comme le disent les créoles sensés, d’énergiques dissolvans du pouvoir dominical, et les causes qui hâtent le plus la mesure de l’affranchissement.