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rent la jouissance, on l’autorise enfin à racheter à prix débattu sa liberté au moyen de ses économies. Chaque esclave arrive ainsi successivement à la liberté pour prix de son travail et de sa bonne conduite. »

Nous avons toujours beaucoup de répugnance à raisonner dans le sens de l’esclavage. Cette loi qui frappe de servitude le sein d’une femme, et lui dit : « Le fruit de tes entrailles est maudit[1], » nous paraît hideuse. À nos yeux tout enfant qui vient au monde est libre, son maître n’a pas plus de droits véritables sur lui que sur sa mère. Mais nous sommes condamné à prendre les choses telles qu’elles sont. Allons donc jusqu’au bout. — D’abord on ne peut affranchir les enfans à naître moyennant une somme modique. Un enfant nouveau-né coûte assez cher à son maître, de même qu’un poulain à son éleveur. La négresse qui se déclare enceinte cesse de travailler comme les autres. Cinquante ou soixante jours avant et quarante jours après ses couches, elle ne fait absolument rien, elle reste à la case et reçoit l’ordinaire ; durant toute l’année qu’elle est nourrice, elle va au travail une heure après et en revient une heure avant les autres.

Ces usages aussi humains que conservateurs de la propriété nègre, nous les avons trouvés établis sur toutes les habitations[2]. Cela est si vrai que la fécondité des esclaves femelles

  1. Les enfans qui naissent des esclaves appartiennent aux maîtres des femmes esclaves, art. 12 du Code noir.
  2. C’est la règle, c’est l’usage commun, mais ici comme toujours nous devons signaler des exceptions qui tiennent essentiellement à l’état d’esclavage où l’individu possédé est contraint, d’abord et avant tout de se conformer aux ordres de l’individu possesseur, sous peine du fouet, de la prison et des chaînes. Ainsi le rapport du juge d’instruction dans une plainte en sévices, portée contre un M. Vaultier Moyencourt (28 juillet 1841), établit que l’esclave Antoinette, enceinte et malade, ayant reçu l’ordre de se rendre au jardin malgré la demande qu’elle faisait d’aller à l’hôpital et n’ayant pas obéi, fut mise au cachot à neuf heures du matin ; que là elle se sentit prise de mal d’enfant et accoucha dans la journée de deux jumeaux. M. Vaultier disait pour sa justification, qu’ignorant l’état avancé de grossesse d’Antoi-