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tronquée ; car les colons, tout en soutenant la stupidité native des nègres, les supposent capables de saisir un mot dans un discours. — Nous avons entendu un curé demander en pleine église à un nègre auquel il faisait subir l’examen du catéchisme : « Quel est le commandement de Dieu qui ordonne à l’esclave de respecter son maître ? » On peut penser si le pauvre nègre fut interdit. Enfin le prêtre déclara que c’était le quatrième : « Tes père et mère honoreras ! » Jugez des autres par celui-là, car celui-là est un des plus progressifs ; c’est M. Lamarche, curé de l’église Saint-François à la Basse-Terre, homme si hardi, qu’il a eu la témérité de faire carillonner et de chanter le Veni Creator à des mariages d’esclaves. Jusqu’alors l’église coloniale ne pensait pas que les esclaves méritassent la peine qu’on sonnât les cloches à grandes volées, ni qu’on appelât sur eux l’esprit créateur.

Ce n’est pas qu’il n’y ait dans le clergé des colonies quelques hommes capables de comprendre leurs devoirs, et assez courageux pour faire entendre des vérités d’une rare audace, comme celles que prononça l’abbé Marchesi, curé de la Basse-Pointe, le jour de la fête. — M. Marchesi avait commencé depuis quelques semaines une histoire de l’Ancien-Testament, et il en était juste ce jour-là à la sortie d’Égypte. La sortie d’Égypte, c’est la première révolte d’esclaves dont l’histoire nous ait gardé le souvenir ; on y voit écrit par la main de Moïse, en lettres de colère, ce que l’on voit et verra dans toute révolte d’esclaves : la duplicité, le vol et l’assassinat. Un tel sujet était scabreux à traiter devant une assemblée de maîtres et d’esclaves. L’abbé Marchesi l’aborda avec une netteté sans réserve.

« Les Hébreux sortirent d’esclavage vainqueurs de leurs maîtres », dit-il d’abord, puis reprenant la fameuse proposition de saint Augustin dans ses commentaires du Pentateuque, il ajouta plus loin, « et Dieu qui dispose à son gré des biens de la terre envers qui il lui plaît, leur permit d’emporter les richesses des Égyptiens en compensation des douleurs qu’ils avaient éprouvées. »