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l’église et de commander une messe pour obtenir la découverte du voleur. Une jeune fille de couleur ayant à se plaindre d’un homme qui venait de s’embarquer, fit dire des messes pour demander au Tout-Puissant le naufrage du navire qui portait son parjure. Les habitans de plusieurs côtes sauvages d’Europe ne s’y prennent pas autrement, quand de leur rivage ils voient un vaisseau dont ils convoitent les dépouilles. Les nègres croient aux sortiléges, aux ombies (revenans), et aux maléfices, comme un paysan français : voilà le fait. Aussi ceux d’entre les blancs qui n’y croient pas, ceux qui ne se chargent point de grigris[1] pour aller se battre en duel, se moquent-ils beaucoup de l’instruction religieuse qu’on prétend donner au noir, et ne parlent-ils que de son naturel superstitieux ou de ses instincts d’idolâtre. — Cela n’empêche pas quelques nègres de faire assez souvent justice des choses bizarres qu’on veut leur mettre dans la tête, témoin celui auquel son curé disait : « Honorez Dieu, il fait pousser votre manioc » ; et qui répondit : « Temps pedu, pai Bautin ; si moin pas qu’a planté li, li pas qu’a jamais poussé. » Temps perdu, père Bautin, si je ne l’avais pas planté, il n’aurait jamais poussé.

En conscience, nous ne savons ce que l’on espère de cette prétendue éducation religieuse que l’on dit indispensable au nègre pour en faire un homme libre ; nous ne pouvons y voir qu’un moyen dilatoire de la part de ceux qui en font une condition préalable de l’affranchissement. Si, avant de l’appeler à l’indépendance, on tient à ce qu’il soit un peu moins ignorant que le matelot français, il en a pour dix-huit cents ans d’apprentissage ; car tous les matelots français portent des amulettes au cou, et sifflent encore quand il fait calme pour appeler la brise.

Ce ne sont point des instructions religieuses qu’il faut aux esclaves, ce sont des instructions morales. Ce qui est nécessaire, c’est de leur enseigner les devoirs de l’honnête homme et du

  1. Amulettes composés par les sorciers et les enchanteurs.