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pour l’instruction religieuse dans les colonies, ils demandent que l’on enseigne l’évangile à leurs esclaves, mais ils ne veulent pas que leurs esclaves le comprennent. Et nous serions créoles, nous aurions les habitudes et l’éducation créoles, nous serions soumis aux nécessités créoles, que nous ne le voudrions pas non plus. Tout-à-l’heure on verra pourquoi.

Une douzaine de prêtres accordés à des populations de cent mille âmes répandues sur des espaces considérables, peuvent prêter quelques phrases aux défenseurs des colons, mais ne sont en réalité d’aucune valeur effective, et le moindre défaut de l’ordonnance est d’être inexécutable[1]. Elle décrète que chaque atelier enverra le dimanche ses enfans à l’église de la paroisse pour y être examinés sur le catéchisme. Eh bien ! beaucoup d’ateliers se trouvent à deux et trois lieues du bourg où est l’église ! Fera-t-on faire six lieues par jour à des enfans de cinq à quatorze ans ?

En résumé, ce que les esclaves ont appris et pourraient apprendre du christianisme, n’a véritablement servi, et ne servirait qu’à leur fausser le jugement ; c’est l’effet que les pratiques religieuses ont produit dans les basses classes des peuples européens ; c’est l’effet qu’elles produiront sur toute race ignorante. Le dimanche, les églises regorgent de nègres et surtout de négresses ; ils ont toujours le nom de Dieu à la bouche, ils décrivent régulièrement un signe de croix sur le pain qu’ils entament ou l’ouvrage qu’ils commencent ; mais ils ne savent ce qu’ils disent, ni ce qu’ils font. Ils ont de la superstition au lieu de religion. Ils ne comprennent pas Dieu, et se servent de lui à peu près comme on se sert d’un charme ; ils le font intervenir dans leurs moindres embarras. — Nous nous souvenons d’une affaire de vol jugée, devant nous, à la Cour d’assise de Saint-Pierre. La première chose qu’avait faite la femme volée en s’apercevant du larcin, avait été de courir à

  1. « Je dirai peu de choses au sujet de la moralisation religieuse. Les moyens ordonnés sont absurdes et impraticables. » (M. Guignod).