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passé pour légitimer et perpétuer le présent ; et nous les avons vu repousser énergiquement l’acte royal qui essaie une amélioration, bien que leur nouvelle charte (la loi du 24 avril) constate « qu’il existe des améliorations à introduire dans le régime des personnes non libres. »

Soyons juste pourtant, la tardive équité dont le gouvernement use en faveur des esclaves, trouble la sécurité des maîtres et l’on s’explique les répugnances qu’ils y montrent. Si j’étais colon, je ne voudrais pas non plus de l’ordonnance, car son application rigide porterait atteinte à la morne uniformité qui doit présider au régime des ateliers pour qu’ils restent calmes. « Mais va-t-on dire, la France peut-elle encore laisser des hommes à un maître sans veiller plus sur eux que sur des bœufs ou des mulets ? Les colons étant propriétaires d’hommes et pouvant abuser de leurs propriétés, n’est-il pas juste de les tenir en un perpétuel état de suspicion d’arbitraire ? qu’ils en accusent la nature seule de leur propriété. En Europe la régie soumet tous les vignicoles, tous les marchands de vin aux injurieuses vérifications de ce qu’on appelle les rats de cave, pourquoi un habitant s’offenserait-il de la visite d’un procureur du roi ? »

Ce sont là des idées naturelles, saines, qui viennent à tout le monde, et que tout le monde accepterait, mais les colons ne peuvent avoir de telles idées, leur éducation, leur orgueil et leur intérêt ensemble s’y opposent et protestent, en disant : « C’est une nouvelle loi des suspects. Pour protéger nos esclaves, qui n’ont pas besoin de protecteurs, on fait de nous des ilotes. Par ces inutiles mesures on excite l’insubordination des ateliers, on y proyoque et on y entretient des espérances d’émancipation qui ne fermentent déjà que trop pour notre sûreté. » Et les îles, avec ces raisons, se persuadent qu’elles sont victimes de la tyrannie métropolitaine. Aussi, un tiers des planteurs ont-ils complètement refusé de recevoir les visites officielles, et les deux autres tiers ne les ont-ils reçues qu’en protestant contre leur illégalité. Que serait-il arrivé si nous avions un gouvernement doué