Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/362

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ser un frein à ces facilités, une ordonnance du 11 juin 1839 autorisa le ministère public à former opposition lorsque l’émancipé ne serait point jugé valide, et M. Bonnet, procureur du roi, s’armant de ce moyen, a formé opposition à l’affranchissement de nouveaux-nés, sous prétexte que les manumissionnaires ne leur assuraient pas une rente pour vivre le reste de leurs jours sans rien faire. Une interprétation aussi déplorablement vicieuse du texte et de l’esprit de l’ordonnance du 12 juillet 1832[1], n’était pas seulement une entrave aux concessions d’affranchissement que le législateur voulait aider, elle ne contrariait pas seulement les nombreuses manumissions du même genre qui avaient été faites depuis 1832 sans que le ministère public eut songé à s’y opposer, elle équivalait à une prohibition complète d’émancipation pour les nouveaux-nés esclaves ; et cependant le tribunal de Saint-Pierre (Martinique) l’adopta en maintenant entre autre, par arrêt du 23 novembre 1839, la qualité d’esclave à un malheureux petit-être de trois mois que l’on voulait rendre à ses droits naturels. Il n’était pas du tout nécessaire de compromettre par cette détestable logique le principe d’affranchissement étendu, les décrets antérieurs fournissaient un remède efficace à ces cruautés de passage ; il suffisait de condamner le maître non pas à reprendre l’esclave impotent, mais à payer sa pension à l’hôpital. — Les tribunaux et les parquets des îles, un créole nous l’a déjà dit, sont dévoués aux colons et prononcent comme le désirent les colons. La loi entendait restreindre la faculté d’affranchissement, à l’égard des esclaves vieux et infirmes reconnus hors d’état de se suffire à eux-mêmes, on l’applique à l’enfant qui vient de naître, parce qu’il est hors d’état de payer sa nourrice et ne justifie pas d’une industrie ! Les mauvaises passions savent tout gâter.

  1. Dans l’exposé des motifs de cette ordonnance on lit : « Voulant donner de nouvelles facilités aux concessions d’affranchissement. » Elle supprime toute taxe sur les affranchissemens.