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mettaient de s’établir sur les savanes de l’habitation où le manumissionné construisait une case, et pour l’ordinaire se faisait gardeur de bestiaux. C’est la jouissance de la savane accordée à ces hommes, qui leur fit donner le nom de libres de savane, Les planteurs, pour montrer l’ignorance où l’on est en France des choses coloniales, rappellent volontiers la fameuse bévue de M. Sébastiani, lequel, lors de son passage au ministère de la marine, dit naïvement à la tribune que ces prétendus libres étaient des esclaves parqués au milieu des savanes comme des bêtes de somme. Le fait est que de la part d’un ministre des colonies, le propos peut passer au moins pour léger.

Les affranchis de cette espèce n’étaient donc affranchis qu’aux yeux du maître, ils demeuraient inscrits sur ses dénombremens ; aux yeux de tout autre et de la loi ils restaient esclaves. Beaucoup d’entr’eux, ceux-là surtout qui s’étaient rachetés de leurs deniers, mécontens d’une situation aussi précaire allaient dans quelqu’île voisine faire constater leur état de libres et revenaient dans leur pays. Mais comme le gouvernement ne voulait point reconnaître ces titres de liberté étrangers, ils étaient obligés d’avoir un répondant. L’ancien maître consentait généralement à accepter cette charge, et devenait alors leur patron, d’où les affranchis de cette nature prirent le nom de patronnés.

Puisque nous sommes sur ce point, disons un mot sur les épaves. La liberté, dans tous les cas pour les noirs et les sang mêlés, était toujours regardée comme l’exception. Le libre de fait, dont le propriétaire était mort ; le patronné, qui avait perdu son patron, eux ou leurs enfans, bien que par suite d’une longue possession d’indépendance ils fussent très réellement libres, étaient tenus pour esclaves fugitifs lorsqu’ils ne pouvaient montrer, à première réquisition, un titre légal d’affranchissement, et n’ayant plus de maître, appartenait au roi qui avait faculté de les faire vendre au profit de l’État[1]. Le

  1. Un arrêt du conseil du Cap, du 7 février 1770, condamna un mu-