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les vertus affranchiront les esclaves de bonne conduite, Peut-on bien vouloir livrer la régénération d’une race toute entière à de pareilles éventualités ? et n’est-il pas singulier de voir les hommes qui parlent toujours si haut de morale, s’en remettre à l’immoralité, du soin d’accomplir la sainte œuvre de la délivrance des captifs ? En tous cas, mille raisons s’opposent à ce que la générosité et la débauche puissent achever ce que l’on en espère : elles n’affranchiront que des individus ; puis, les créoles déclarant aujourd’hui « qu’il est impossible de cultiver le sol des colonies sans le travail forcé, en raison des dispositions naturelles de la race noire pour l’oisiveté et la vie anti-sociale », n’est-il pas certain que le jour où le nombre des bras nécessaires pour la culture se trouverait trop réduit par les affranchissemens vicieux et vertueux, les affranchissemens s’arrêteraient ? Nos passions bonnes et mauvaises conservent toujours trop de logique pour que les créoles oublient jamais cela ; l’équité, d’ailleurs, leur défendra de dépouiller leurs héritiers, même par grandeur d’âme. Une des milles raisons, en effet, dont nous parlions tout à l’heure, qui s’opposent à une émancipation successive par ces voies, malgré même les meilleurs désirs des propriétaires, c’est que la plupart d’entr’eux étant obérés, ils ne peuvent de bonne foi disposer d’un bien, seul gage de leurs créanciers. Toute émancipation que se permettrait la libéralité de leurs vices et de leurs vertus deviendrait criminelle, puisqu’elle serait un vol fait à leurs prêteurs.

Les trente-quatre mille libertés[1] prononcées dans nos colonies depuis 1830, ne doivent faire illusion à personne. À les prendre pour ce qu’elles sont, il est impossible de leur prêter la valeur qu’on cherche à leur donner. Voici pourquoi : une ordonnance du 1er mars 1831 à supprimé toute taxe sur les concessions de liberté ; un autre décret royal du 12 juillet 1832 a pourvu à la régularisation de toutes les libertés, qui n’avaient pas encore reçu la sanction légale. C’est en vertu de

  1. On dit aux colonies liberté dans le même sens qu’affranchissement.