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garde de l’éducation. La misère a fait un stellionataire de l’orgueilleux planteur !

Et il ne pardonne pas à ses esclaves de lui voler des bananes !

La suspension de l’expropriation forcée ne provoque pas seulement ces fraudes toujours, funestes à la morale publique ; elle a d’autres inconvéniens encore faciles à saisir du premier coup. Elle tue le crédit en lui enlevant toute base de sécurité, en ne laissant plus aucune garantie au créancier, et par suite agrandit sans cesse le gouffre où vient s’abîmer à jamais la fortune du débiteur honnête. Ce crédit put s’établir autrefois, parce que le commerce de la métropole ouvrait volontiers ses caisses aux planteurs qui avaient en ce temps-là des propriétés liquides, et qui expédiaient des sucres sur la vente desquels on faisait des bénéfices considérables ; mais à mesure que le registre des hypothèques s’est rempli, les caisses se sont fermées, et aujourd’hui le capitaliste répugne à aider une industrie sans responsabilité. Tant de vieilles créances d’un recouvrement désespéré rendent de nouveaux emprunts impossibles l’intérêt de l’argent grossit de tous les risques qu’il court et le propriétaire forcé de payer au poids de l’or les fonds dont il a besoin, voit tous ses bénéfices dévorés par l’usure. Il est de notoriété publique que le taux légal ou du moins commercial, le taux courant de l’argent est aujourd’hui de dix, douze et quinze pour cent aux colonies ! Dans un procès que nous entendîmes plaider au tribunal de première instance de Fort-Royal, procès où il s’agissait de l’exécution d’un bail, l’une des parties, M. Morel, procureur du roi, avait ouvertement stipulé à dix pour cent l’intérêt d’une somme employée par lui à des dépenses locatives ! Quand l’homme de la justice demande dix pour cent, que demanderont les autres ? Il n’y a pas d’industrie possible dans un pays où l’instrument de travail appelé capital, coûte si cher !

Le remède à ce mal effrayant est effrayant lui-même. C’est le retour à la loi commune, à l’expropriation forcée. Quelques-