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privilèges, bien assurés que le moindre changement les troublerait dans leurs propriétés, certains que leurs nègres convertis en argent par l’indemnité et devenus saisissables sous cette nouvelle forme, passeraient aux mains de leurs créanciers, veulent le statu quo, tout précaire qu’il soit.

Nous avons là un des motifs secrets de leur résistance à l’affranchissement, et la preuve qu’ils croient plus à l’abolition qu’ils ne le disent, c’est qu’ils cherchent déjà à se mettre à couvert de l’éventualité que nous venons de signaler, en obtenant des séparations de biens qui donnent ouverture aux droits des femmes. Les journaux des colonies de ces derniers temps sont remplis d’annonces légales qui laisseraient croire, si l’on n’en connaissait les raisons cachées, à une cause de trouble survenue spontanément dans tous les ménages.

Bien plus, un trop grand nombre de colons moins scrupuleux se sont liquidés depuis quelques années par une opération odieuse que l’on appelle blanchissage. Elle consiste à faire acheter par un prête-nom (souvent à terme) la première créance en ordre d’hypothèques grevant le bien, et puis à le mettre en vente aux enchères publiques. L’obligation de payer comptant éloigne les acquéreurs. La propriété est adjugée à vil prix au prête-nom, dont le remboursement comme premier créancier inscrit absorbe le montant de la vente, les autres n’ont rien ; et l’habitant est quitte envers tout le monde sans avoir à peine donné un sou. Marché trop onéreux encore, puisqu’il y perd l’honneur.

Effet cruel et fréquent du malheur de l’indigence ; la vieille et fière probité créole est compromise malgré la sauve-

    la dépendance des habitans, liés tous d’intérêts communs ou d’affection avec leurs administrés, deviennent les agens de leurs amis au lieu d’en être les magistrats. L’huissier qui ne peut faire ouvrir une porte qu’en présence du maire ou de l’adjoint, lorsque le juge-de-paix de la ville ne l’a pas suivi, ne les trouve jamais chez eux quand il a besoin de leur assistance pour cet office ; ou bien les surprend-il, un mal subit les empêche toujours d’obtempérer à sa réquisition.