Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

put les arrêter au berceau, ni en compromettre l’avenir, si elle tombaient en quelqu’embarras d’argent. C’est dans cet esprit qu’un arrêt du conseil d’élat du 5 mai 1681, défendit purement et simplement la saisie des nègres attachés à la terre ; que le Code noir ne l’autorisa qu’autant qu’il y avait à la fois saisie des nègres et de la terre. La terre ne pouvant prospérer sans les bras, on entendait ne pas les séparer. — Une propriété rurale aux colonies n’est pas un bien tranquille et de facile administration, c’est une manufacture, son achat ne fut jamais un placement de fonds, mais toujours une spéculation. On n’acquiert une plantation que pour y gagner de l’argent, et cela est si vrai, qu’au dire des hommes versés dans ces matières, « on ne citerait pas depuis la fondation des colonies jusqu’à nos jours un seul exemple de la vente d’une sucrerie faite au comptant[1]. »

Malheureusement il advint que la sagesse du législateur favorisa la fraude et la dissipation de ceux dont elle avait voulu seulement encourager le travail. Les colons sûrs de n’être jamais dépossédés, enivrés de leur prospérité, firent des dettes, qu’ils accumulèrent insoucieusement au milieu des plaisirs d’une vie effrénée. Leur luxe, leur passion du jeu, leur fêtes absorbèrent plus que les immenses bénéfices, et bientôt ils ne laissèrent à leurs enfans que de magnifiques propriétés insaisissables, mais grevées d’hypothèques énormes. Cette fâcheuse position des propriétaires créoles remonte déjà bien haut : Le général J. R disait en 1804[2], « les colons ne sont aujourd’hui que les géreurs de leurs habitations, » aussi lors de la promulgation du Code civil, 16 brumaire an xiv (7 novembre 1805), les arrêtés coloniaux autorisés par la métropole, suspendirent-ils l’exécution du titre XIX relatif à l’expropriation

  1. Essai sur des modifications à apporter au Code de procédure civile appliqué à la Martinique, par M. Bally. Le travail que nous citons ici est un traité ex-professo sur la question qui fait l’objet de ce chapitre. Le législateur en le consultant y trouvera de précieuses lumières pratiques.
  2. Voyage à la Martinique.