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choisir entre deux maux ; nous aimerons mieux que l’ouvrier fasse la loi au maître qui gardera toujours une bonne table ; plutôt que le maître à l’ouvrier qui souffre et pâtit, jusqu’à ce qu’il entre dans les demeures inconnues où nous allons tous et où personne n’a faim.

Tout labeur doit rapporter sa juste récompense. En bonne morale et aussi en bonne économie politique, la difficulté n’est pas de chercher à garantir, comme le veulent les propriétaires, le bas prix du salaire, mais de trouver un moyen équitable de rétribuer le travail sans dommage pour le capital. Nous ne nous inquiétons pas de savoir si l’objet fabriqué sera cher où bon marché, ou pour dire mieux, ce n’est là pour nous que la seconde partie du problème ; la première et la plus importante, c’est que l’homme qui fabrique retire de l’emploi de son temps et de ses forces un profit qui lui donne de quoi vivre sans privation. La Grande-Bretagne est la nation du monde européen dont les produits manufacturés sont les moins chers, c’est aussi la nation où la pauvreté de la classe ouvrière est la plus affreusement profonde.

L’esclavage a permis de donner le sucre à bon marché, lorsque celui qui le cultivait n’avait pour compensation d’un travail excessif qu’une mauvaise nourriture et un mauvais gîte, ce ne peut être un motif pour que la liberté s’y conforme. Si la culture libre de la canne doit la rendre plus coûteuse, il nous paraît tout simple que le consommateur s’y résigne ; si les denrées coloniales doivent augmenter de valeur, il nous paraît honorable qu’il se soumette à l’augmentation sans regret, comme à une loi d’équité. Si le sucre manufacturé par des hommes affranchis doit être plus cher que le sucre manufacturé par des hommes esclaves, eh bien ! il faut payer le sucre plus cher ; car il est contraire à justice que pour payer une livre de sucre deux sous, dix sous ou cent sous meilleur marché, on réduise l’homme qui la confectionne à l’état d’animal, Autrement il n’y aurait pas de raison pour que, retournant à la barbarie antique, on ne fit crever les yeux à cet homme comme faisaient