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ports d’antagonisme. Attachez-vous particulièrement à rendre la loi de ces rapports simple et peu compliquée, à ce que les conventions de travail et de salaire soient précises et bien déterminées.

La seule véritable difficulté est là, et le génie de l’administrateur consistera à savoir prévenir tous débats, à établir du premier coup la bonne harmonie dans les transactions que les anciens maîtres et les nouveaux libres vont faire entr’eux. La sagesse des colons doit être invoquée, car, plus éclairés que les nègres, ils peuvent mieux comprendre les dangers de la rivalité entre pauvres et riches.

Le point culminant de la question à venir, c’est de savoir rendre le travail libre attrayant, et ils peuvent beaucoup en ceci par la douceur dont ils useront envers les émancipés. Ce sont les dispositions conciliantes des créoles qui ont fait à Antigues la fortune de la liberté. Ne cherchez point à obtenir le travail au taux le plus bas, mais bien le plus équitable. Réglez tout de suite honorablement le salaire pour que vos bras prennent goût fout de suite à des fatigues profitables. Abandonnez ces coupables désirs qu’a toujours le fabricant de réduire la paie de l’ouvrier. On se préoccupe trop à notre sens du bas prix du salaire. On voudrait l’assurer par tous les moyens possibles, et les planteurs représentent avec une insistance qui prouve combien les idées du juste sont faussées en tout ceci, que depuis l’émancipation, « ce n’est qu’à des prix excessifs que les colons Anglais ont pu décider les noirs à travailler. »

Quand je vois les ouvriers en Europe où les bras surabondent, se plaindre si justement qu’on ne les fait travailler qu’avec des gages insuffisans, je me prends à penser qu’aux Antilles, où les bras sont insuffisans et peuvent imposer leur prix, on ne se plaint qu’ils se taxent trop cher que parce qu’ils ne veulent point se donner pour rien. La cruauté des riches en Europe rend fort suspectes leurs lamentations en Amérique.