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du passé avait perfectionnés eux-mêmes. Ouvrez-leur donc le livre, si vous voulez qu’ils apprennent à lire. Nos bourgs seraient-ils ce qu’ils sont sans les lois municipales et l’impulsion du chef-lieu ? Je m’assure que les blancs, dans une position analogue, ne feraient pas mieux que les nègres du Misérable, et cela est si vrai que ce village s’est augmenté de plusieurs cases habitées par des gens de couleur, et aussi par quelques femmes blanches, qui vivent tous dans le même désordre, qui tous ont leur part du foyer d’infection !

Nous n’avons nullement peur de fournir ces faits, où nos adversaires voudront prendre un argument en faveur de l’apprentissage préalable, car nous ferons voir, dans la suite de ce livre, que l’apprentissage ne peut rien produire, et l’on remarque, d’ailleurs, qu’il faudrait mettre aussi beaucoup de blancs en apprentissage. Ce que nous avons voulu prouver, c’est que les nègres abandonnés à eux-mêmes, loin de s’aller cacher dans les profondeurs des bois, restent auprès des villes, et loin de manifester les instincts de férocité qu’on leur suppose, montrent, au contraire, une douceur de mœurs extrêmes.

Après cela, c’est l’affaire d’un gouvernement animé de l’esprit de charité politique, de prévenir ces tendances à l’inertie, et cette disposition à la paresse, qui se forment tout à la fois des bontés du climat et de l’état intellectuel d’hommes encore incultes. Sans doute, de toutes les difficultés que nous lègue l’esclavage, la plus grande est une certaine aversion pour le travail que la servitude met au cœur de l’esclave, et cette difficulté s’augmente des splendides prodigalités de la nature. Mais un affranchissement instantané a encore cet avantage, qu’il permet de combiner des mesures générales, inapplicables à des cas particuliers, et d’agir en masse sur l’esprit et le moral des nouveaux libres. Il faut les entourer si bien qu’ils n’aient pas le temps de prendre de mauvaises habitudes. Puisque ces hommes sont neufs dans le régime libre, profitez de la position pour les anoblir d’un seul coup, et créer simultanément entre l’employeur et l’employé des rapports de fraternité, au lieu de rap-