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sirer ; ils ont eu la sagesse de demeurer, et ils remplissent leur tâche comme les ouvriers esclaves. Le géreur de l’habitation est assez content d’eux, et nous a dit qu’ils ne répugnaient aucunement à toutes exigences du travail continu.

Trois à quatre cents nègres et négresses, également sauvés de la traite, ont fondé, tout à côté de Fort-Royal, un petit village justement appelé le Misérable. Il n’est point d’établissement de cases sur les habitations, j’en conviens, qui ne soient au-dessus de ce qu’on voit là. Ces malheureux, sous le plus beau ciel du monde, végètent au milieu de flaques d’eau croupissante, de boue, et des fétides émanations qui s’élèvent des parcs à cochon attachés à chaque cabane. Leurs ruelles, appelées rues, sont tellement sales, qu’on se croirait dans un village de France. Ils vivent pauvrement, au jour le jour, des petits gains qu’hommes et femmes vont faire à la ville, en servant les maçons et les ouvriers, ou comme ouvriers eux-mêmes. Presque séparés du reste de la population, ils parlent les idiomes de leurs divers pays, et l’on prétend qu’ils veulent refaire l’Afrique. Ce qu’ils font, ce n’est ni l’Afrique, ni la civilisation : ce n’est rien de bon. Ils ne se conduisent pas d’une manière légalement répréhensible ; nul n’a à se plaindre d’eux ; leurs cases fermant à peine, sont respectées comme dans une grande famille : mais ne point faire mal est une vertu négative en socialisme. L’homme doit faire bien, et il est constant qu’au Misérable on ne fait pas bien, car il n’y existe ni organisation, ni société, ni avenir. La faute en est-elle à ces nègres qui n’étaient dans leur pays, sans doute, que des esclaves obéissans, comme presque tous les noirs de traite ? On n’a rien essayé en leur faveur ; on les a laissés à leur complète ignorance de toutes choses ; on les a livrés à eux-mêmes : la civilisation blanche les a vus s’agglomérer à côté d’une ville capitale, sans s’occuper de ce qu’ils faisaient, sans jeter les yeux sur eux, et ils existent au hasard. Ce n’est pas ainsi que la civilisation doit agir : elle a pour devoir d’éclairer les sauvages, de les instruire, de leur donner une direction, Tous les peuples ont été conduits par des hommes que la science