Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en faisant la part d’un louable amour-propre, n’avons-nous pas droit de conclure que ce dont chacun a si peur n’est pas fort à craindre ?

Mais ils voleront. Il n’est guère possible de répondre sérieusement à une proposition si peu sérieuse ; toutefois, en la prenant même pour ce qu’elle vaut, nous n’aurions qu’une chose à dire. Quand tout le monde vole, il n’y a rien à voler, et le métier de brigand devient peu lucratif. Il faudra volontairement ou non s’assujettir à une tâche quelconque, et les premiers à l’œuvre seront les plus acharnés ennemis des coureurs de rapines.

Ce sont là des craintes qui ne méritent pas qu’on s’y arrête ; allons aux choses sérieuses.

Un nègre, dans l’état actuel de ses connaissances et de ses goûts, peut subsister avec 120 ou 130 fr. par an, et il lui est facile de gagner cette somme en se louant un jour ou deux par semaine. Il travaillera peut-être pour satisfaire aux premières nécessités de la vie, nous dit-on, mais pas davantage, et les colonies, faute de bras, tomberont en friche.

Certes, si cela arrivait, ce serait un grand mal, et cependant il n’en faudrait pas moins prononcer l’abolition ; car c’est un bien plus grand mal que des hommes soient contraints de travailler six jours de la semaine sans rémunération, pour tenir les colonies en culture, procurer des richesses aux créoles et du fret à notre marine marchande, tandis qu’ils peuvent vivre à leur guise en ne s’occupant que quarante-huit heures. On a déplacé la question. Le nègre n’a pas à donner des garanties d’aptitude laborieuse pour mériter l’affranchissement ; — le privilége de tout homme à l’indépendance est imprescriptible ; — il travaillera s’il lui plaît, c’est à vous de savoir l’y engager, l’y exciter, l’y encourager par des moyens que la justice et le droit public ne réprouvent pas.

Cependant, prenez confiance. Si la servitude, depuis deux siècles qu’elle s’est chargée de l’éducation de l’homme noir, n’a pu en faire qu’une brute dont vous ayez à redouter les