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vitude, avant de dire que l’émancipé ne la voudra pas remuer ; ennoblissez la houe pour que les anoblis ne croient pas descendre en y touchant ; détruisez l’esclavage des laboureurs pour que faire œuvre de laboureurs ne soit pas faire œuvre vile. Tant qu’il y aura des esclaves au jardin, on ne trouvera point de libres pour les y accompagner. Le jour où la liberté donnera des lettres de franchise à la canne, les affranchis ne craindront pas de se mettre en contact avec elle. Le seul moyen de modifier les idées à cet égard est de changer de fond en comble le milieu où elles se faussent. Nous avons déjà cité une parole de M. Boyer, nous aimons à nous appuyer encore de l’opinion de cette forte tête. « Pour que le régime qu’on établira ne soit pas neutralisé par les circonstances laissées à l’entour, il faut soulever ensemble la masse entière. »

Il y a toute raison de croire aux succès d’une telle mesure ; car aujourd’hui même, parmi ces nouveaux libres encore enveloppés des ténèbres serviles, il s’en trouve quelques-uns d’esprit assez fort pour vaincre le préjugé et vivre de la terre. En parcourant les colonies, on rencontre beaucoup de petites cases entourées de champs cultivés par des libres. M. Latuillerie a plusieurs carrés loués à des nègres libres qui les exploitent en vivres. M. Bovis nous a montré sur son habitation du Marquisat (Guadeloupe) des jardins entretenus par des libres et même par des femmes de couleur. M. Portier, un des membres du conseil de la Guadeloupe les plus ennemis de tout progrès, a employé des hommes libres au jardin, et a soutenu devant nous contre son collègue M. Fel. Patron, « qu’on en trouverait autant qu’on en désirerait, si on voulait les bien payer. » Les bien payer ! il y a encore ici une explication de l’oisiveté des affranchis de nos îles. Plus d’une personne désintéressée nous ont dit qu’un bon nombre de libres ne travaillaient pas aux champs, parce qu’ils reçoivent souvent pour salaire des injures ou des coups sans pouvoir obtenir justice des autorités municipales qui sont toutes aux mains des blancs propriéfaires. Quoi qu’il en soit, le préjugé contre la canne lui-même