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dans l’esclavage s’étaient nécessairement montrés des plus capables et des plus assidus, ne retournent plus à la terre, leur première et bienfaisante nourrice ? — Réellement la situation du travail libre actuel, et en particulier du travail agricole, ne peut être prise avec justice en considération. Dans ces pays criblés de préjugés, hiérarchisés depuis le premier jusqu’au dernier échelon, tout ce qui rappelle la servitude à l’affranchi lui est odieux, insupportable, répugnant au point que le bamboula, cette danse que le nègre aime de passion, il cesse souvent de s’y livrer dès qu’il est affranchi, parce qu’elle appartient exclusivement aux esclaves. Nous avons vu un esclave qui avait racheté sa fille lui interdire le bamboula comme indigne d’une femme libre. La pauvre enfant n’avait pas encore les vanités de sa condition et aurait bien voulu redevenir esclave pour une heure ou deux.

Plusieurs fois, depuis le commencement de cet ouvrage, la similitude des mœurs et des idées dans toutes les Antilles a été mise en évidence. Les mêmes causes ont engendré partout les mêmes effets. À Puerto-Rico, où les Ibaros, race indo-blanche et les nègres libres daignent se louer accidentellement pour couper de la canne lors de la récolte, on n’en trouverait pas un pour la planter et manier la houe, quand on lui donnerait une piastre par jour.

L’objection capitale des créoles raisonnables n’est pas précisément que les libres refusent tout-à-fait de travailler, ils reconnaissent assez volontiers qu’ils se louent pour des ouvrages de terrassement, de nettoyage de canaux, etc., emplois sur lesquels les stigmates de la dégradation sont moins profondément imprimés. La grande affaire est qu’ils ne veulent point se louer pour la canne, et que par conséquent, quelles que soient d’ailleurs leurs dispositions, les colonies sont toujours perdues, puisque la culture de la canne est la seule qui puisse les soutenir. Mais ne voit-on pas bien encore ici que l’antipathie ne porte que sur le travail plus particulièrement représentatif de l’abjection esclave ? Réhabilitez donc la terre flétrie par la ser-