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voués à l’ignominie, et que la couleur de leur peau les empêche d’aspirer à rien, les décourage de tout ; et voici la plus grande raison, c’est que les conditions politiques n’y permettant aucune industrie[1], il n’y a plus d’autre occupation possible pour eux que celle de la terre, et celle-là, ils n’en veulent pas.

La servitude a frappé le sol d’infamie, qui s’y livre est vil, c’est pure œuvre d’esclave et d’esclave du dernier degré. « Les libres, a dit M. Lignières, travailleraient volontiers à la terre pour vivre, s’ils n’en étaient empêchés par l’esclavage. » Les maîtres n’ont que trop contribué eux-mêmes à dégrader l’agriculture ; car leur commune menace envers un domestique en faute, est de lui dire : « Je vous enverrai au jardin. » Les libres se refusent au labourage, parce qu’il est le signe le plus caractéristique de leur ancien abaissement ; et si vous en doutez, expliquez-nous pourquoi le nouveau libre, celui qui vient d’être affranchi, soit grâce à la faveur de son maître pour bons services, soit grâce au pécule qu’il aura péniblement amassé par des habitudes laborieuses qui deviennent nécessaires à celui qui les contracte ; expliquez-nous pourquoi ceux-là même qui

  1. Cette interdiction de toute œuvre manufacturière outre l’inconvénient moral déjà signalé dans le cours de notre ouvrage, est aussi matériellement très dommageable aux colonies, et y fait éprouver de grandes pertes à la richesse commune. Que d’élémens industriels s’en vont à la pourriture. En France, on ne sait qu’inventer pour trouver les matières premières propres à faire du papier, aux îles une masse énorme de chiffons, de coton, et surtout de toile est entièrement perdue. Les vieux outils, les vieilles ferrailles de toute espèce se rencontrent à chaque pas sur les routes et dans les rues ; abandonnés, ils se détruisent d’eux-mêmes sans profit pour la société. Bien d’autres choses de cette nature pourraient être citées. Deux commerçans de la Martinique qui s’avisèrent, il y a peu de temps, de s’en aller sur les habitations acheter toutes les chaudières de batteries  * hors de service, font une opération superbe en expédiant en France ces vieux fers. Ils en trouvent des amas qui datent du commencement de la colonie.

    *Une batterie est l’appareil des quatre chaudières qui servent à la fabrique du sucre.