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beaucoup, car tout ce que l’autre fait en plus est autant de gagné à son profit. Comment s’étonner que le nègre n’aime point un travail régulier, perpétuel, au profit et au gré d’autrui ? Comment ce travail pourrait-il avoir le moindre attrait à ses yeux, puisque toute la récolte est pour un autre ? Le sentiment d’aucun avantage personnel n’étant attaché aux résultats de la tâche qui lui est imposée, il est tout naturel que cette tâche lui soit odieuse ou au moins indifférente. Nous nous expliquons très bien l’apathie où tombe l’homme qui n’a aucune volonté à exercer, qui doit toujours obéir. La plante qui végète s’intéresse-t-elle d’une manière active à la vie ? Le fouet ou plutôt la crainte du fouet est presque l’unique stimulant d’un esclave, il est très concevable qu’il fasse seulement juste ce qu’il faut pour échapper au fouet ; « celui qui manque d’un motif d’action, a dit M. Buxton, cesse d’agir aussitôt que s’arrête l’impulsion violente qu’il a reçue. » — La prospérité égaie ou attriste la grande case, l’habitation du maître va bien ou mal ; qu’importe à l’esclave, où est son intérêt ? Il devra toujours porter sa besace, elle ne sera ni plus ni moins lourde. Qu’il mette un ou deux arpens de terre de plus en culture ; je vois distinctivement l’augmentation de sa peine, mais je cherche en vain l’augmentation de son bien-être. Avouons-le, se courber chaque jour sur une tâche sans salaire, rester étranger à une plus grande abondance qu’on a créée, est une situation qui doit amener l’indifférence. Si dans de pareilles données il se trouve, comme on nous l’assure, des nègres zélés ou réellement laborieux, ces hommes là doivent être doués d’une activité naturelle bien extraordinaire. L’esclave à tout prendre, sauf les soins d’hôpital lorsqu’il est malade, n’a véritablement en récompense des cinq jours pleins de labeur donnés par lui à son maître, que le droit de travailler le sixième pour gagner sa nourriture de la semaine entière !

Et malgré tout, voyons donc. Cette paresse du nègre qui nous est sans cesse représentée comme un obstacle à nos projets libérateurs, est-elle bien réelle ? est-elle foncièrement aussi