s’écoulent donc encore avant l’arrivée de l’indolente Elisia. — Ça ous v’lé, mame (que voulez-vous, madame) ? — Ous pas vois, ma ché ? ba moi mouchoi la qui tombé là (ne voyez-vous pas, ma chère, donnez-moi ce mouchoir qui est tombé). La négresse se baisse sans aucune marque d’étonnement et remet le mouchoir. — Ous pas vlé rien plus ché maîtresse (vous ne voulez rien de plus, chère maîtresse) ? — Non, Elisia, ous qu’a peut aller (non, vous pouvez vous en aller). — Près d’un quart-d’heure a été dépensé. La belle créole, en se donnant la peine d’allonger le bras, aurait ramassé son mouchoir.
Un de nos amis marié à Bourbon sort le matin de la chambre nuptiale et est tout surpris à l’heure du déjeuné de ne point voir sa femme réunie à la famille ; il monte et la trouve encore couchée. — Êtes-vous malade ? pourquoi ne vous levez-vous pas ? — Mais je ne puis, cette noce a bouleversé la maison apparemment, et la négresse qui me met ordinairement mes bas n’a point encore paru. » Cela ne vaut-il pas bien l’excellente histoire que nous raconta un habitant de la Martinique : « Je voulais, nous dit-il, montrer à un européen, ami presqu’aussi forcené que vous de la race noire, un échantillon de l’incurie caractéristique de vos protégés. Je plaçai mon chapeau en travers de la porte du salon où je le recevais, et je fis gageure que le domestique passerait par-dessus ou à côté mais n’y toucherait pas. J’appelai, un nègre vint, je lui demandai un verre d’eau qu’il me rapporta, et il s’en retourna enjambant quatre fois le malheureux chapeau. » L’aventure n’est pas vraisemblable, et cependant elle est vraie. Il règne aux Antilles, et bien plus chez nous que chez les Anglais, un énervement extraordinaire. Cette insouciance que les colons reprochent aux nègres, ils ne s’aperçoivent point qu’ils la partagent avec eux. Est-il un peuple plus imprévoyant au monde que les créoles et surtout que les créoles Français ? plus follement généreux, plus prodigue, moins occupé de l’avenir, pensant moins au lendemain, plus gaspilleur, plus dépourvu de tout esprit de conservation ? Ne sont-ils pas tous couverts des dettes que leur ont