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deux carrés de terre (six arpens) plantés en bananes ont donné à M. Bernard (du Robert), chaque lundi, pendant neuf mois, quinze cents livres de substances nutritives. M. Gosset a fourni l’ordinaire de manioc à cent dix nègres pendant neuf mois, avec une pièce de sept arpens et demi plantée de cette racine. On nous à cité un cadenatier[1] qui rapporte quinze cents francs annuellement à son propriétaire, et M. Brière (Macouba) nous a montré un arbre à pain qui lui donne tous les ans mille fruits, de chacun quatre livres, terme moyen ! — Bienfaisante jusqu’à la prodigalité, la nature ne prend pas même sur la récolte ses élémens de reproduction ; elle ne prélève pas la dîme sur la gerbe du moissonneur. Il suffit de mettre en terre la pointe supérieure de la canne, partie privée de sucre, pour obtenir une canne nouvelle. Les tubercules de manioc restent intacts au cultivateur, les plans se trouvent dans le petit arbuste qui les porte, et il en fournit douze ou quinze. La patate se reproduit aussi par un bout de sa liane sans avoir à sacrifier la moindre parcelle du fruit ; quand le bananier a donné son énorme régime, on le coupe, et il renaît de ses racines plus jeune, plus fécond que la veille !

Les maîtres placent le nègre émancipé, tel qu’il est, sobre, frugal, avec des besoins tellement restreints, qu’à vrai dire, il n’en a pas : habitué à se nourrir depuis le commencement jusqu’à la fin de l’année d’un peu de morue salée et de farine de manioc, à se passer presque d’habillement, à se loger dans une petite hutte enfumée qu’il peut construire et réparer tout seul, l’esprit sans aucun raffinement, le palais sans aucune délicatesse ; les maîtres, disons-nous, qui ont réduit à ce degré les bienfaits de la civilisation qu’ils ont révélée aux noirs, placent l’homme que nous venons de décrire[2] au sein des prodigalités de la nature tropicale, et ils s’épouvantent, supposant qu’il ne travaillera pas.

  1. Arbre portant de petits fruits rouges appelés cadenettes.
  2. Tout calculé, la dépense de chaque nègre à la charge du proprié-