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CHAPITRE XIX.

DE LA PARESSE NATIVE DES NÈGRES.

Fécondité des Antilles. — Les blancs ne sont pas moins indolens que les nègres aux colonies. — La paresse est le propre de tous les hommes encore non civilisés. — L’esclave ne peut prendre aucun intérêt au travail. — Pourquoi les affranchis ne travaillent pas. — Aux Antilles, l’esclavage a frappé l’agriculture d’ignominie.


Maintenant que nous avons un peu éclairé notre marche, examinons les choses de plus près. La grande objection des créoles de sens et le grand embarras de quelques abolitionistes pour l’affranchissement, c’est que, dit-on, le travail libre est impossible. Ceux qui ne savent point ou ne veulent point savoir, croient ou feignent de croire que les massacres de Saint-Domingue furent le résultat de l’émancipation ; ils évoquent le sanglant fantôme et s’obstinent à considérer la mort des blancs comme la conséquence de la liberté des noirs. Pour d’autres, en plus grand nombre, c’est dans la fécondité même de la terre et dans la paresse naturelle du nègre qu’ils trouvent leur plus grand sujet de crainte.

Heureux pays que celui où l’on reproche au ciel ses magnificences, où trois mois d’hiver lèveraient tous les obstacles ! Là, en effet, le sol donne des fruits presque sans culture ; c’est une force, une végétation luxuriante qui produisent avec une largesse inouïe ; rien n’est moins rare que de voir aux Antilles sur un manguier, par exemple, des fleurs, des fruits verts, des fruits murs et de vieilles feuilles jaunissantes à côté de bourgeons entr’ouverts. Cette immense fertilité ne s’arrête jamais. La nature semble être embarrassée de ses trésors et les jeter à profusion, comme une mère laisse quelquefois s’épancher inutile le lait de son sein trop fécond. — Pour tout dire en un mot,