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de leur valeur, afin de compenser la moins value qu’éprouveront peut-être les bâtimens et la terre durant les premiers mois où il y aura sans doute diminution de travail. Sûr d’avoir été généreux, on pourra du haut de sa bonne conscience être insensible aux plaintes des déraisonnables, aucune douleur n’aura droit de maudire l’œuvre sainte, on aura fait plus que justice.

Le nombre total de la population esclave de toutes les possessions françaises s’élève à deux cent soixante mille[1]. Ce serait donc 260 millions que la métropole aurait à payer pour faire disparaître la servitude qui souille encore quelques terres françaises. La France doit donner cette somme et elle la donnera. Il ne s’agit pas du trésor, il s’agit de la morale. Il faudrait désespérer de la charité de la grande nation, si l’on pouvait douter d’obtenir des chambres l’argent nécessaire pour désinfecter les colonies. Elle a pu donner un milliard aux émigrés, elle a pu jeter 140 millions dans les fortifications, et elle ne pourrait payer l’affranchissement ! Nous ne le voulons pas croire.

Pourquoi tant se méfier des dispositions pécuniaires du parlement. L’indemnité une fois reconnue, légitime en droit et en fait, on ne peut pas, on ne doit pas supposer que nos chambres veuillent se déshonorer aux yeux de l’univers en refusant l’émancipation par un vil sentiment d’économie. Au reste, que les calculateurs se rassurent. L’argent donné pour faire un homme libre d’un homme esclave est de l’argent placé à bon intérêt, et la fortune publique ne peut qu’y gagner. Le travail intelligent rapportera le centuple du travail inintelligent. Le trésor retrouvera plus vite qu’on ne pense ses déboursés. L’É-

  1. Notices statistiques, 4e volume.

    Il est bien entendu que les marrons ne seront pas remboursés, ils ont conquis leur liberté, ce sont des libres de fait, ils ont usé du droit naturel, et l’on ne doit pas plus leur prix que celui des évadés aux îles anglaises. Ils ne peuvent être payés à leurs maîtres, puisqu’ils ne leur appartiennent plus. Qui pourrait dire d’ailleurs s’ils sont vivans.