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« Nous ne croyons pas, dit encore M. Guignod, que notre esclave soit malheureux, qu’il ait besoin de la liberté ; nous ne croyons pas au travail libre : on ne peut nous demander des sacrifices à une opinion qui n’est pas la nôtre. Si vous croyez au travail libre, prenez ma place ; si vous n’y croyez pas, abstenez-vous de créer un péril à ma propriété, ou payez le préjudice autant qu’il vaut. » Cela veut dire, nos bâtimens d’exploitation, nos terres, nos bestiaux n’ont de valeur que mis en rapport avec les esclaves qui les exploitent. Vous devez donc nous défrayer du prix des terres, des bâtimens et des bestiaux ; puisque les esclaves supprimés, terres, bâtimens et bestiaux ne valent plus rien.

Ce raisonnement nous mènerait directement à acheter et liquider les îles entières depuis le premier clou jusqu’à la dernière cheville, car les propriétaires des villes et des bourgs viendraient dire : nous ne pouvions louer nos maisons que parce qu’il y avait travail à la campagne, vous détruisez le travail nous ne pourrons plus louer nos maisons, achetez-les. Et bientôt les colons demanderaient qu’on leur payât le passage et le fret de leurs bagages pour revenir en Europe.

Quels cris de désespoir les créoles ne pousseraient-ils pas si on les obligeait, même par un tel moyen à vider le pays ! mais nul ne peut songer à cela sérieusement. L’état ne paie et ne doit payer que ce qu’il prend de la propriété dont il s’empare pour cause d’utilité publique, les colons ne peuvent espérer raisonnablement qu’on en agisse d’autre façon vis-à-vis d’eux. Ils ont une propriété mauvaise, c’est un malheur ; ils doivent en subir les conséquences. Seulement il est de la loyauté et de la générosité française de rendre ces conséquences aussi peu désastreuses que possible. Que l’indemnité soit large, dépassons le but pour être sûr de l’atteindre, car ne dut-on pas obtenir le travail libre, c’est notre opinion qu’il n’en faudrait pas moins affranchir ; mais restons dans les limites du possible. Les intérêts des colons sont respectables, ceux des noirs le