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les moyens imaginables, car ils n’ont pas souscrit au marché ; mais nous n’avons pas celui de la leur accorder, car nous l’avons ratifié ; de la leur accorder, je veux dire, sans compensation pour le possesseur qui les acheta sous la garantie des institutions du pays. Ce serait réparer un crime par un autre crime ; ce serait leur appliquer la loi cruelle dont ils se disent les exécuteurs à l’égard des Africains, les rendre responsables de la cruauté de leurs pères. « Le droit de posséder tel morceau de terre, a dit M. Guignod, n’est pas plus de droit naturel que celui de posséder un homme : ces deux droits sont ceux de la force légalisée par des nécessités sociales. Serais-je admis à prêcher contre votre propriété du sol en Europe ? Non. Je respecte votre droit, respectez le mien ; et si vous ne voulez point le laisser exister, payez votre fantaisie en espèces, au lieu de la payer en phrases sur la dignité humaine. » Rien à répliquer à cela.

Indemnité donc pour les créoles, indemnité raisonnable, loyalement débattue de part et d’autre, parce que, si les colons ont des esclaves, c’est la France qui l’a voulu ; indemnité, parce que les créanciers des colons dépouillés seraient subsidiairement dépouillés, eux qui prêtèrent sur la garantie d’un bien reconnu légalement ; indemnité, parce que de jeunes héritiers créoles qui ne mirent jamais le pied aux colonies, et ne peuvent en vérité passer pour des fauteurs d’esclavage, n’auraient plus d’héritage ; indemnité, parce que c’est assurer la réussite de la grande mesure, amoindrir la secousse inévitable, en donnant aux colons les moyens pécuniaires d’entretenir le travail libre ; et il existe une raison plus forte, plus haute, plus puissante, plus absolue, plus sainte que toutes celles-là ; indemnité, parce que c’est justice.

Notre conscience ne nous laisse aucune hésitation, et ne nous permet d’admettre aucune discussion sur ce point. Mais si l’indemnité est équitable en principe, il serait aussi inique de la comprendre comme la comprennent les colons, que de la refuser.