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assez vite leur chose humaine. Oui, qu’ils soient désintéressés et l’on n’entendra plus des Français répéter au xixe siècle que la servitude est un état social légitime. Laissons ces hideux restans de barbarie aux peuples, sur lesquels le soleil de la raison n’a pas encore versé sa lumière.

Nous dirons peu de mots sur l’indemnité : nous croyons et nous avons toujours cru qu’elle est due.

L’esclavage est le malheur des maîtres et non pas leur faute, la faute est à la métropole qui le commanda, qui l’excita. L’émancipation est une expropriation forcée pour cause d’utilité humanitaire, comme l’a dit un habitant. L’indemnité est donc un droit pour les créoles. Tout ce que l’on peut avancer pour soutenir le contraire ne peut être que de l’injustice et du sophisme.

Sur ce point, non plus que sur l’abolition, il ne nous paraît pas qu’aucune transaction soit admissible.

Sans doute, la servitude a toujours été un abus, un acte de violence, un crime, et le crime n’engendre pas de droit ; mais le crime politique engendre des faits qui ont leur valeur légale et commandent la réserve. Si l’on ne pouvait parvenir à la destruction du mal qu’au prix d’horribles déchiremens, il faudrait bien s’y résoudre, quoi qu’il en pût coûter ; mais puisqu’il est possible de les éviter, il n’y a nulle faiblesse à le faire. Il est beau à un homme d’être inflexible, de passer sur toute considération, amitié, famille, fortune, joie et repos, pour accomplir la vraie loi, pour satisfaire à un principe sacré ; mais un gouvernement veille sur tant d’intérêts, qu’il est dans son devoir de ménager des faits accomplis.

Ceux qui prétendent qu’il est permis d’arracher aux maîtres leur propriété noire, purement et simplement, parce que cette propriété est et a toujours été illégitime, méconnaissent qu’elle est et a toujours été légale, ils oublient que le pacte social qui la protége ne peut rien défaire violemment de ce qu’il a institué législativement.

Nulle personne dans le monde ne pouvait dépouiller les nègres de la liberté ; ils ont donc le droit de la conquérir par tous