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la liberté à leurs nègres pour rien. Leur fortune est là. La plus grande partie de leur existence est engagée, il ne faut pas se le dissimuler, dans la transformation qui se prépare, leur position mérite intérêt. L’argent domine la vie et puisqu’ils jugent leur argent compromis dans l’affranchissement, on ne doit pas de sang-froid leur en vouloir beaucoup de le défendre. Il est difficile de faire comprendre à un homme la nécessité philosophique de sa ruine (ils croient à la leur), pour l’élévation d’une race qu’il est accoutumé de mépriser et de voir méprisable.

Les colons sentent bien tous, malgré leurs mauvais propos, que l’esclavage est un contre-sens politique. S’ils veulent le statu quo, c’est qu’ils ne croient pas à la possibilité de cultiver avec la liberté, et quand on a peur pour son pain on est pardonnable d’avoir des craintes exagérées.

Le conseil des délégués, plus sage que les conseils coloniaux, a reconnu « que l’affranchissement des noirs n’était plus qu’une question de temps et d’argent, » nous supprimons la première partie de la proposition au nom de la morale, et nous disons : « L’affranchissement n’est plus qu’une question d’argent. » L’argent ! Quand on regarde bien au fond de tous ces graves débats où sont en jeu la liberté et la fortune des Français d’outre-mer, on voit que là encore il domine tout. Les chambres qui savent que les nègres veulent être libres, effrayées de ce que coûterait l’affranchissement n’osent le prononcer, les colons qui savent que les nègres doivent être libres, disent le contraire, de crainte qu’on ne leur donne pas compensation.

De nos conversations avec les planeurs il résulte pour nous qu’ils ne se montrent si rebelles au progrès que parce qu’ils ont peur de tout perdre. Le jour où l’indemnité leur sera accordée, sauf quelques fous, ils se soumettront sans plus de résistance. Bien des fois nous leur avons entendu finir une discussion avec nous par ces mots : « Eh bien ! si vous voulez absolument faire votre expérience libérale, que ce ne soit pas à nos dépens. »

Que la France les désintéresse donc et ils abandonneront