Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les principaux membres de la société française pour l’abolition de l’esclavage portent noms Broglie, Passy, Lamartine, Odillon-Barrot, tous gens peu connus pour leur audace révolutionnaire. Il sera bien aux créoles d’accepter le vœu universel, non pas en se regardant comme sacrifiés par une métropole qui a grand intérêt au contraire à les voir prospérer, mais en se persuadant que c’est au nom du progrès de la moralité humaine qui abolit la torture, que la France exige l’abolition de la servitude ; au nom de la charité, que la nation à résolu de purifier un état social dont s’offensent la raison, la justice et l’humanité.

Nous ne savons sur quoi s’appuient ceux qui nous accusent de vouloir bouleverser les colonies à plaisir, ni de quelle nature serait ce plaisir, et encore moins quel serait son but ; mais nous savons, et nous l’avons prouvé, qu’il est au milieu de vous, créoles, parmi vos propres frères, beaucoup d’hommes qui sentent que ce qui est ne peut demeurer. Ceux-là veulent l’ordre, ils y sont intéressés autant que les autres, ils veulent que le travail, condition vitale de toute société, soit organisé ; mais sans se faire illusion sur les difficultés de la réforme, ils blâment les reculemens de la majorité ; ils veulent cette réforme, parce qu’elle est raisonnable, parce qu’elle est juste, parce qu’elle est humaine, et ce sera leur dévouement assuré aux mesures émancipatrices de la métropole qui préservera les colonies de tout mal.

Puissent ceux qui résistent aujourd’hui les aider alors ! Plus l’esprit public des créoles se modifiera dans ce sens, plus ils comprendront la nécessité philosophique de l’affranchissement ; et plus vite on surmontera, au profit des particuliers comme à la gloire du siècle, les embarras des premiers momens. Leur devoir de bons citoyens est de renoncer courageusement au passé. Sans leur concours volontaire, il sera difficile que l’émancipation ait promptement une issue favorable. On ne peut songer sans frémir aux troubles prolongés d’une société en reconstruction, si, avec la surveillance à exercer sur les nouveaux affran-