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pas y aller les yeux fermés ; mais il ne faut pas laisser de poursuivre l’établissement du souverain principe, sans donner trop de place aux craintes des colons. — Ils ont été malheureux jusqu’ici dans toutes leurs résistances et sur tous les points culminans du système colonial. Ils s’opposèrent avec violence à la suppression du commerce des nègres ; tous les argumens qu’ils emploient à cette heure contre l’émancipation, ils les épuisèrent contre l’abolition de la traite. Détruire la traite, c’était détruire les colonies. L’odieux trafic n’existe plus, les colonies subsistent, et les créoles conviennent aujourd’hui que son extinction a été un bienfait pour eux. Ils disaient que donner des droits politiques à la classe libre, c’était mettre les colonies à feu et à sang ; la classe libre est émancipée, et les colonies sont moins agitées qu’elles ne le furent jamais. Lorsque le gouvernement donna il y a huit ou dix mois, après sept années d’apprentissage, la liberté à quatre cents nègres de traite que l’on avait sauvés de l’esclavage et placés à la Martinique, ces échappés de la servitude devaient tout troubler et bientôt mériter la corde ; ils sont libres, et on n’entend pas parler d’eux. Il en sera, nous le croyons, de l’émancipation générale comme du reste. Qui sait ? peut-être les blancs nous béniront-ils un jour pour l’affranchissement qui aura rétabli leur fortune, tué le poison, et garanti leur tranquillité ; peut-être voudront-ils élever aux abolitionistes des statues d’ébène, comme disait avec une douce moquerie le pauvre Louis Maynard, ce jeune fils de la Martinique, qui s’était fait aimer en France, et qui est mort trop jeune, abattu dans un duel par le fusil d’un mulâtre.

En tous cas, que les colons approuvent ou n’approuvent point le principe, ils s’y doivent résigner ; il n’est plus aucune force au monde qui puisse empêcher son triomphe, il est porté par le courant des idées de réforme à une telle hauteur de vérité démontrée, que le nier aujourd’hui, c’est se perdre dans l’opinion publique. Au sein des chambres, hors des chambres, Partout, le sentiment général se prononce énergiquement et avec une sorte d’indignation contre le maintien de l’esclavage.