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faveur de notre cause et de faire des prosélytes… N’êtes-vous pas tenté de rire des choses humaines, lorsque vous vous dites que celui qu’on vous signalait comme un mangeur de nègres ; tandis qu’on l’exposait à votre mépris, à votre haine implacable, obéissant à sa conscience, écoutant les inspirations de son cœur, s’exposait lui-même non pas au Lynch law (mes compatriotes ne sont point des barbares), mais aux abjurations de ses concitoyens, de ses amis ; et qu’aujourd’hui même, recueillant le fruit de ses efforts en faveur de l’humanité et de la justice, on le met au nombre des abolitionistes en qui l’on doit avoir confiance, parce qu’il a toujours été abolitioniste… »

Qu’il y eût ou qu’il n’y eût pas de propriétaires d’esclaves parmi nous, la cause n’en serait pas moins bonne ; mais nous espérons qu’après ce qu’on vient de lire les créoles de bonne foi, encore adversaires, renonceront à la négation de notre droit à parler d’abolition, sous prétexte qu’aucun de nous n’a rien à y perdre. En tous cas, peu importe, les abolitionistes veulent se rappeler toujours que le pain des planteurs ne doit point leur être arraché ; mais ils veulent n’oublier jamais que l’esclave a droit d’être mis en position de gagner librement le sien et non plus de le recevoir du bon vouloir d’un maître ; ils veulent se rappeler toujours que la fille du planteur ne doit pas perdre sa dot, mais ils veulent n’oublier jamais que l’esclave a droit d’être mis en position d’en gagner une pour la sienne. C’est méconnaitre son temps que d’envisager aujourd’hui la question coloniale sous une autre face, de se refuser à laisser monter de niveau l’homme esclave avec l’homme maître. La France a des colonies, elles sont habitées par trente mille blancs éparpillés au milieu de deux cent soixante mille noirs ; est-ce donc un crime et une folie de vouloir que les lois n’y soient plus faites en faveur des trente mille au détriment des deux cent soixante mille, d’exiger qu’il soit mis un terme à la perpétuation de cette incommensurable iniquité ?

On doit avoir souci des conséquences de l’abolition, et ne