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bres du tremblement de terre de la Martinique, elle ramassa deux millions de souscription pour vous les offrir ; que vous avez bonne grâce à l’accuser d’être ennemie des créoles ? Mais la France ne vous aimât-elle pas, elle serait facilement justifiable ; car si vous n’êtes pas coupables de l’esclavage, vous êtes coupables de le vouloir garder, et en prétendant conserver des esclaves, vous vous montrez indignes d’elle qui ne veut plus même de nobles.

S’il pouvait rester quelque doute sur l’illégitimité de votre propriété pensante, il suffirait de faire remarquer qu’elle n’est défendue que par vous et vos salariés. Vous n’avez pas eu un député ni un journaliste qui vous prêtât sa parole ou sa plume pour rien ; aux colonies même on ne rencontre, disposés à soutenir jusqu’au bout l’esclavage, que ceux qui ont des esclaves. Toutes les villes, détestablement servies par vingt mille nègres de maison chèrement payés qui ne font pas l’ouvrage de cinq mille domestiques, verraient sans beaucoup de peine l’affranchissement[1]. L’intérêt seul veut donc maintenir la servitude, puisque ceux-là seuls qui en profitent la soutiennent, puisque, là où les hommes n’y sont pas pécuniairement engagés, ils en demandent d’impulsion spontanée la destruction. Il faut bien croire qu’il y a quelque chose de moral dans une destruction que tant de personnes d’âges divers et de sentimens politiques opposés voient tous du même œil, quoiqu’ils n’aient rien à y gagner ni les uns ni les autres. Si l’affranchissement était injuste, aurait-il tant de partisans ? une telle unanimité devrait vous ouvrir les yeux et calmer vos résistances.

Ceux qui n’ont rien à perdre ont beau jeu aux utopies, dites-vous ; mais ceux qui ont beaucoup à perdre, dirons-nous à notre tour, sont des juges trop prévenus pour apprécier

  1. Au besoin nous pourrions citer comme partageant cette opinion, M. le docteur Rufz, de Saint-Pierre, et cependant le docteur Rufz est un vrai créole, ennemi de l’abolition, parce qu’il la croit funeste aux intérêts généraux de son pays.