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et l’esclave qui en demande le retrait : de quel côté est juste et bon de se tourner ? Au retrait, vous ne perdrez tout au plus qu’une partie de votre fortune, au maintien, l’esclave continuerait à perdre pour l’éternité la somme intégrale de ses droits naturels. Répondez, si vous étiez à notre place vous mettriez-vous comme Bonaparte avec les blancs par la noble raison que vous êtes blancs ? Non, vous vous mettriez avec les noirs par la plus noble raison que les noirs souffrent et se dégradent. Quant à nous personnellement, en vérité nos opinions politiques même ne sont pour rien ici ; nous ne sommes pas mus comme dans nos principes démocratiques par une aversion orgueilleuse de tout despotisme ; et si l’on fouillait en notre cœur, on ne le trouverait animé que par la conscience inflexible des devoir éternels de homme envers l’homme. — L’humanité tout entière doit enfin entrer dans les seules voies qui puissent conduire au bonheur, s’il existe, la modération et la charité. La France ne peut tolérer plus long-temps chez elle un état de choses qui par sa nature même exclut la modération et la charité. La puissance du maître comme celle de l’homme riche a son côté brillant, et qu’il leur est permis de regretter, mais elle est égoïste et mauvaise. Sachez donc, sachons donc tous, maîtres et bourgeois, princes de la terre, sachons y renoncer. Il n’y a de beau en morale que ce qui est bon.

Que vingt mille maîtres ne veuillent rien changer, cela se conçoit ; mais soyons justes et convenons que les âmes dévouées n’ont pas tort de désirer mieux pour deux cent soixante mille esclaves. On nous a dit un jour : « Mais, monsieur, pourquoi donc les philantropes de Paris s’occupent-ils tant des nègres des Antilles ? qu’est-ce que ça vous fait à vous que les nègres soient libres ou esclaves ? » La question nous était adressée sous un gros arbre, où l’interlocuteur et nous avions trouvé refuge contre un grain qui tombait. « Cet arbre qui nous abrite a peut être mis cent ans à pousser ; il ne put jamais prêter son feuillage contre le soleil ni contre l’orage à celui qui l’a planté. » Telle fut notre réponse.