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eux. « Le créole ; ainsi que nous l’écrivait encore M. Fereire, ne peut concevoir des idées que sa position ne lui permet pas d’analyser, et c’est de là que vient tout son aveuglement. » Lorsqu’on aura changé le mode social, les hommes changeront ; ils valent mieux que l’institution à laquelle il est juste de rapporter leur perversité.

Ne nous indignons pas trop que les créoles résistent, l’intérêt personnel a toujours résisté aux réformes nécessaires. En Europe ceux qui possèdent résistent aux justes réclamations de ceux qui ne possèdent pas. Faisons la part des maîtres, et celle des circonstances où ils se trouvent. Soyons sans colère, tâchons de les éclairer ; mais qu’ils renoncent à faire des abolitionistes autant de niais ou de méchans. Nous acceptons volontiers l’épithète très injurieuse de philantrope, mais nous disons qu’il n’y a que les sots qui puissent accuser les philantropes de haïr et de calomnier les créoles. Calomnier un

    M. Isambert comme un ennemi, mais ils ne le mépriseront plus comme déloyal ; voilà tout ce qu’il faut pour des gens de cœur.

    C’est une chose de la dernière authenticité pour tous les créoles, même les moins passionnés, que M. Isambert n’a embrassé et ne continue à défendre la cause de l’abolition que pour de l’argent ; on a tant répété cela, que tout le monde le croit, et croit aussi que les preuves en existent, écrites de la main du coupable, dans la correspondance d’un homme de couleur nommé Leriché, dont les papiers passèrent après décès au bureau des successions vacantes de Saint-Pierre, Martinique.

    J’avais entendu plusieurs personnes graves se faire l’écho de ces terribles bruits, et les maintenir pour vrais, quoique je voulusse y opposer la réputation de probité dont jouit M. Isambert en France, Je dis à la fin : « La déconsidération publique du plus actif défenseur des noirs serait un coup très rude porté à la cause de l’affranchissement, car on juge avec quelque raison du procès par l’avocat. Cependant comme la vérité doit être honorée par-dessus toutes choses, je ferai, moi, ce que je suis étonné que pas un de vous n’ait encore fait. Puisque les preuves de la félonie subsistent, je m’engage à les publier si vous me les montrez. » Sur ce, un négociant de la Martinique, M. Auguste Bonnet, homme d’un noble caractère, et ami de la justice, me mit un jour en rapport avec M. Gravier Sainte-Luce, conseiller