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se sont tenus dans l’obscurité, et les voilà aujourd’hui victimes des ténèbres qu’ils ont faites ; le soleil les blesse et leur fait peur. Beaucoup de colons se plaignent du silence où ils sont condamnés. « … Aussi, un de mes plus forts argumens pour demander le renvoi à cinq ans du vote de l’abolition, nous écrivait M. Lignières, est-il de donner le temps de nous éclairer à la presse coloniale qui serait débaillonnée. » Hâtez-vous, hâtez-vous de rendre aux colonies la liberté de la presse. La censure, comme moyen de paralyser les dangers qui existeraient à y parler trop haut, est d’autant plus absurde, qu’il arrive tous les quinze jours de France des brochures et des journaux mille fois plus incendiaires que ne le pourrait jamais être la polémique locale.

Les colons ont trop de brillant dans l’esprit, et quand je me rappelle la noble hospitalité que j’ai reçue chez eux, moi qu’ils tenaient pour un ennemi, je pense aussi qu’ils sont trop chevaleresques pour ne pas devenir abolitionistes, si on pouvait les instruire fraternellement. Il fallait les voir alors qu’il fût question de guerre, ils se montrèrent universellement prêts à une vigoureuse défense ; ils parlèrent de leurs fusils et de leur adresse à les manier. Que tout l’honneur de leurs actes soit connu : ils savaient bien que la guerre une fois déclarée, l’Angleterre mettrait le feu à leurs îles en deux jours, en appelant les nègres à la liberté, et cependant nous les vîmes unanimes à désirer que la mère-patrie tirât vaillamment l’épée plutôt que de maintenir la paix aux dépens de sa dignité. Le vieux sang français se réveillait tout superbe, et ils ne songeaient guère à se donner à la Russie comme dans leurs mauvais momens[1]. Ce

  1. Le caractère créole est réellement tel qu’on l’a peint, primesautier, ardent et surtout porté aux excès, à l’exagération. On ne saurait se figurer la violence que plusieurs mettent dans les idées contraires à l’abolition ; quiconque parmi eux prononce la moindre parole libérale n’est plus taxé que de quart ou de moitié de créole. Il a été dit du rapport Rémusat à la tribune du conseil colonial de la Martinique. « Lorsque Tartuffe l’ancien donnait une heure au ciel, une autre à l’adultère, il