Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si les habitans par l’usage des mœurs politiques et d’une presse libre, par les féconds rapprochemens de l’association, avaient acquis plus de vertus civiques, nos îles y gagneraient de toute manière ; mais chacun redoute de se faire mettre à l’index, et le pays reste livré à l’influence des hommes stationnaires qui flattent ses passions cachées, en perpétuant la peur instinctive que nous inspirent tous les grands changemens même reconnus nécessaires. C’est ainsi que la faiblesse et le respect humain ont toujours tant retardé le progrès des sociétés ! — Puissent ceux qui méritent nos reproches comprendre, qu’ils manquent à leur pays en ne confessant pas tout haut leurs opinions ! Il n’est vertueux qu’à demi, celui qui se contente de faire le bien ; avoir en outre le courage d’empêcher le mal est l’impérieuse obligation du vrai juste. L’homme peut user sa vie à de telles entreprises, mais il grandit de leur grandeur ; il trouve dans le sentiment du devoir la consolation des rudes chagrins, des amères déceptions de la vie ; et quand vient l’heure suprême, quelque jour qu’elle arrive, comment qu’elle arrive ; vieux ou jeune, abattu par la fièvre ou par une balle de plomb, il rentre dans l’essence universelle, calme et sans regret. Ce fut là, n’en doutons pas, le secret qu’eurent ces nobles disciples du stoïcisme qui proclamaient la parenté de tous les hommes, et dont l’histoire nous raconte la mort facile et vaillante.

Oh ! si les créoles généreux voulaient ! S’ils exigeaient seulement qu’on rétablit aux îles la liberté de la presse, que de choses on pourrait dire, utiles à tout le monde, que de frayeurs mal raisonnées on parviendrait à calmer, que de lumières on jetterait sur ces questions ! comme on y accoutumerait insensiblement les esprits, comme on agirait avec facilité et sans les heurter sur les hommes rétrogrades ; combien la parole fortifiante d’un ami connu, donnerait de courage aux timides et rassurerait ceux qui doutent encore ! — La censure est aussi une des plaies attachées à l’esclavage. Pour ne point ouvrir trop de jour aux esclaves et à la classe des libres, les créoles