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qu’elle arrivât aux conseils pour combattre les anciens. Elle sympathise avec l’affranchissement, comme tout ce qui est jeune, sympathise avec tout ce qui est bon ; et si, par exemple, on prenait l’avis en masse des barreaux de la Basse-Terre, de la Pointe-à-Pitre, de Saint-Pierre et de Fort-Royal, le monde aurait peut-être le grand étonnement d’y voir éclater une générosité non moins hardie que celle des abolitionistes. Pour tout dire, les colons ont plus peur du mot que de la chose. Faut-il l’avouer ? se fâcheront-ils de la révélation ; est-elle à leur louange ou à leur blâme ? Ils se redoutent les uns les autres, ils tremblent devant la tyrannie de leur propre opinion publique qui étouffe la voix des bons et des sages[1]. Réunis ensemble, ils se montent, s’échauffent, arrivent à une véritable glorification de leur société et refusent tout ; prenez-les tête à tête, ils accordent sans peine que l’être humain n’est pas destiné à vivre comme un animal, et que pour l’honneur de la France moderne il est à désirer que l’on détruise l’esclavage sans nuire au travail. — Le jour où les timides ne se laisseront plus terrifier par la majorité, ils la dépasseront, car ils attireront à eux la partie saine de la population ; malheureusement ce jour-là est loin encore.

  1. À l’appui de ce que je viens de dire, je ne saurais mieux faire que de citer le passage d’une lettre de M. Auguste Prémoran de la Martinique, qui avait bien voulu m’admettre plusieurs jours chez lui. « J’ai reçu hier, m’écrivait M. A. P., une lettre de Saint-Pierre, dont tel est le contenu : « M. Schoelcher est depuis peu de jours de retour du Lamentin. S’il faut l’en croire, il aurait trouvé chez une partie des habitans de votre quartier une opinion bien différente de celles des autres propriétaires de la colonie. Suivant ces habitans, que d’ailleurs M. S. n’a pas nommés, ce qui est à regretter, car il est utile aujourd’hui de bien connaître son monde, on peut compter sur le travail libre, etc. » Et là-dessus l’écrivain me priait de déclarer, comme cela est vrai, que je l’avais trouvé entièrement contraire à cette opinion. « Le travail libre je le répète, ajoutait-il, est impossible pour le nègre. » On le voit, les passions anti-abolitionistes sont tellement exaspérées et tyranniques chez les créoles, qu’ils demandent à signaler ceux qui osent croire le travail libre possible. Il est bon de connaître son monde ! Cela n’équivaut-il pas à, il est bon de connaître ses ennemis ?