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clavage, c’est-à-dire la propriété de l’homme sur l’homme, est une monstruosité en désaccord avec nos mœurs, nos sentimens et nos idées ; sous le point de vue moral, c’est une souillure de humanité où nul ne voudrait tremper les mains. La conscience répugne à en chercher la justification dans les mœurs ou l’esprit des siècles qui l’ont vu naître, elle a hâte de s’inscrire en faux contre cette grande violation de la dignité de l’homme, et l’âme indignée s’échappe en un vaste cri : Abolition de l’esclavage ! De tels sentimens appartiennent aux colons propriétaires d’esclaves comme aux abolitionistes européens, et nous ne craignons d’être désavoué que par les hommes à intelligence écourtée qui ont des préjugés et pas d’entrailles. » L’auteur de ces nobles pensées, si noblement dites, définit l’émancipation « déposséder les maîtres d’une propriété garantie par la loi dans un but d’utilité humanitaire. »

Un autre habitant de la Guadeloupe, dans des réflexions pour l’affranchissement, s’exprime en ces termes : « L’esclavage tel qu’il existe, pourrait être modifié, et il ne serait pas difficile de supprimer sans danger tout ce qui, dans cette affligeante institution, effarouche à bon droit les susceptibilités philantropiques de nos frères de la métropole… L’esclavage deviendrait alors une condition fort supportable, dans laquelle la race noire trouverait tout le bien-être matériel auquel on peut prétendre en ce monde.

« Mais cet état social, si heureux qu’il puisse être, n’en serait pas moins de l’esclavage ; or l’esclavage est une flétrissure qui pèse à l’humanité, et le moment est venu de rendre à celle-ci sa dignité méconnue depuis trop long-temps ; je crois donc que l’esclavage doit être aboli. »

Par malheur, ceux qui pensent ainsi n’ont pas encore tous, le courage de le proclamer comme l’énergique M. Lignières, dont le lecteur nous a déjà souvent entendu parler[1]. Il y a une opinion publique faite contre l’abolition, et ils se

  1. M. Lignières est cet avocat défenseur d’Amé Noël, qu’un homme