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cune indemnité, sûr de récupérer bien vite la perte de mon capital noir par les gains de la prospérité future. »

Un autre, M. Eggiman, de la Guadeloupe, avec lequel nous discutions, s’interrompt candidement : « Mais que voulez-vous que je réponde ? vous avez le beau côté. »

« Nous demandons indemnité, dit M. Guignod, de la Martinique, dans un mémoire encore manuscrit, et il nous la faut, c’est notre droit ; car nous n’avons défendu le principe esclave que comme synonyme du droit, et c’est notre droit de propriété seul que nous défendons. Qu’on ne dise donc plus que nous soutenons le principe de l’esclavage pour l’esclavage en lui-même. Nous soutenons notre droit tel que la loi l’a fait, pour ne point perdre la fortune qui repose sur l’esclavage. On nous commande des sacrifices à une opinion qui n’est pas la nôtre, et l’on s’indigne de notre résistance ; c’est au moins injuste. L’homme ne peut posséder l’homme, soit, vous avez raison ; mais vous m’avez permis d’acheter un homme, vous m’y avez encouragé, si vous voulez le reprendre pour le rendre à la société, payez-le moi. La réhabilitation du principe moral ne saurait détruire le droit créé, le droit que la loi a constitué. »

Nous sommes à même de l’affirmer, il est des créoles propriétaires de nègres qui sont abolitionistes. Leur âme bienveillante a brisé les entraves que l’éducation, habitude et l’intérêt personnel mettaient à leur propre affranchissement. Nous possédons plusieurs manuscrits que l’on nous a fait l’honneur de nous confier, et dont il ne nous est pas permis, à notre grand regret, de révéler les auteurs, où l’on rencontre des idées aussi profondément radicales que les plus radicales qui aient jamais été professées en France. C’est dans le mémoire d’un colon en faveur du rachat forcé par le pécule, que se trouve le passage suivant : « Par le temps où nous vivons, dans nos îles perdues comme dans l’Europe civilisé, il n’est pas un homme propriétaire ou non d’esclaves (homme de sens, de cœur et de lumière, s’entend), qui au point de vue théorique ne condamne radicalement l’esclavage. Examiné en principe, l’es-