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ses possessions humaines, en leur prêtant je ne sais quelle affreuse légitimité aristotélique et légale ?

Heureusement nos frères des Antilles, lorsque leurs passions ne sont pas excitées par l’effervescence de la place publique, n’épousent plus de telles doctrines.

Sans doute, il ne manque pas aux colonies d’êtres stupides et méchans, auxquels il paraît tout naturel d’abrutir des nègres pour gagner plus d’argent, et qui ne méritent aucune considération ; d’esprits faux et d’âmes sèches comme on en rencontre en Europe, qui trouvent que tout ce qui existe est bien, par la souveraine raison que cela est ; mais ceux-là exceptés, nous pouvons le dire sans crainte de nous être laissé trop impressionner par les souvenirs de l’hospitalité, l’esclavage n’a pas foncièrement, et pour lui-même d’amis parmi les colons. Ils le reconnaissent pour un mal, ils ne voudraient pas l’établir s’il ne l’était, et n’en demandent la continuation que parce qu’il le regardent « comme un mal nécessaire. »

« Nous concevons tout ce que l’esclavage a d’horrible, nous disait M. Dupuy, mais que deviendront nos fortunes, celles de nos enfans, de nos filles si vous nous enlevez nos bras. Les noirs libres ne travailleront pas ; leur liberté, c’est notre ruine et celle des colonies. » — « Mon Dieu, s’écriait M. Cotterell, je soutiens cet état de choses parce que j’y vois de grands intérêts engagés, parce que le bien-être de ma famille y est attaché, parce que sa destruction me semble devoir amener la destruction des colonies ; mais je comprends ce que vous dites. Si j’étais européen, si j’eusse vécu dans le centre d’idées où vous avez vécu, je penserais, je crois bien comme vous. »

« Je ne prétends pas certainement, nous disait un autre planteur, que l’esclavage soit bon en principe, mais trouvez moyen de le remplacer sans détruire notre société tout entière. Pour moi, je sympathise si fermement avec la moralité de votre réforme, que si vous pouviez me garantir le travail libre du tiers seulement de mon atelier, je ne vous demanderais au-